Introduction

Le prélèvement de tissu prostatique à visée d’analyse histologique existe depuis le début du 20ème siècle. Depuis les premières techniques de biopsies, réalisées de manière chirurgicale, au travers d’une incision périnéale, et grevées d’une morbidité importante, les techniques ont évolué vers des prélèvements au travers d’aiguilles spécifiques. La voie transpérinéale était privilégiée car elle permettait à l’opérateur de s’orienter en effectuant simultanément un toucher rectal, détectant le nodule à biopsier, et dirigeant l’aiguille pour les prélèvements anatomo-pathologiques. De plus, la voie transrectale, était jugée dangereuse en raison de sa contamination. Avec l’apparition et le développement de l’ultrason, ce guidage s’est progressivement fait par la mise en place d’une sonde échographique endorectale. Le pistolet à biopsie était alors placé dans un introducteur connecté à la sonde échographique, et se déplaçant simultanément, permettant une observation échographique en temps réel de la zone à biopsier. Avec une anesthésie locale faisable également sous guidance échographique, les biopsies ont rapidement migré de la voie transpérinéale à la voie transrectale [1]. Néanmoins, en raison du passage des aiguilles du milieu fécal vers le parenchyme prostatique, le patient était exposé à un risque infectieux non-négligeable, rendant nécessaire une prophylaxie antibiotique pour le geste et donc le recours aux antibiotiques dans la population générale. L’utilisation large et peu contrôlée des fluoroquinolones pour cette indication a conduit à une interdiction par la Commission Européenne en raison d’effets secondaires importants [2]. En parallèle, une augmentation progressive du portage rectal de germes multi-résistants a été constatée, rendant l’antibioprophylaxie et le traitement d’un éventuel sepsis plus compliqué. Le sepsis à point de départ urinaire après biopsie reste un problème d’actualité, avec le coût d’un épisode de sepsis post biopsie de prostate estimé entre $8672 à $19000 dollars aux Etats-Unis en 2019 [3].

Dans ce contexte, l’approche transpérinéale a de nouveau suscité l’intérêt avec comme principal objectif une diminution des complications infectieuses. Lors de la reprise de cette technique, les premiers prélèvements se sont faits à l’aide d’une grille de guidage, connectée sur la sonde échographique endorectale, permettant d’effectuer des biopsies à intervalle régulier de toute la glande, afin de la cartographier de manière systématique et dans son entièreté [4]. En raison d’un nombre important de prélèvements pour cartographier toute la prostate (souvent plus de 30, jusqu’à 80) et de la nécessité d’une immobilité du patient, cette voie transpérinéale exigeait une anesthésie plus profonde que la voie transrectale, soit par une anesthésie péridurale ou une anesthésie générale [5].

L’imagerie par résonance magnétique (IRM) prostatique multiparamétrique a marqué un nouveau bond dans la manière de réaliser des biopsies. En effet, jusqu’alors, les biopsies étaient principalement réalisées de manière systématiques, et occasionnellement « guidées » en cas de toucher rectal suspect ou d’aspect échographique suspect (malgré une faible sensibilité et spécificité de l’échographie transrectale) avec une fusion cognitive, soit une représentation mentale en 3‑D par l’opérateur qui « ciblait » ainsi la zone suspecte. La standardisation de l’interprétation de l’IRM par le score PI-RADS (Prostate Imaging-Reporting and Data System), dont la dernière version, la 2.1, a permis de démocratiser l’IRM et de l’intégrer dans les recommandations actuelles avant toute biopsie en raison de sa haute sensibilité à détecter des cancers significatifs [6,7,8]. L’avantage des biopsies ciblées est d’avoir une meilleure représentation de l’agressivité de la maladie. Une distinction importante existe entre des cancers localisés de faible agressivité (diagnostiqués par un score de Gleason 3+3=6, ou score ISUP groupe grade 1) dont le traitement consiste en général en une surveillance active, et des cancers considérés comme significatifs (à partir de score de Gleason ≥ 3+4=7, ou score ISUP groupe grade ≥ 2) qui poseront l’indication à un traitement curatif chez les patients ayant une longue espérance de vie [9]. Le risque des biopsies systématiques était un diagnostic important de cancer non significatif, et une détection moindre de cancer significatif, exposant des patients à un sous-traitement, et d’autres à une potentielle perte de chance, respectivement [10]. Ces résultats ont mené à une diminution du nombre de prélèvements tissulaires, en ciblant d’avantage les zones identifiées au préalable par l’IRM.

Cela a permis à la technique de s’adapter à une utilisation dite « main libre », évitant ainsi les biopsies systématiques de saturation réalisées jusqu’alors avec la grille (Fig. 1). Dans ce contexte, l’anesthésie locale s’est progressivement offerte comme une alternative sûre et confortable pour les patients. Elle se pratique sous la forme d’une anesthésie cutanée suivi d’un bloc prostatique bilatéral. Il s’agit d’une méthode avec peu de complications, efficiente et à moindre coût [11]. Plusieurs études ont confirmés que les taux de détection de cancer de la prostate significatif sont comparable à la technique transrectale, et certains suggèrent même une meilleure capacité diagnostique dans les zones apicale et antérieure qui peuvent être techniquement difficiles à biopsier par voie transrectale [12, 13]. Lors de la réalisation de biopsies par voie transpérinéale, une meilleure détection des atteintes cancéreuses de la zone antérieure et apicale a donc été présumée [13]. Une méta-analyse semble également confirmer ces données dans une analyse de sous-groupe [14]. L’intérêt actuel se porte depuis plusieurs années déjà sur une amélioration progressive des techniques de prélèvements par cette voie, une diminution des risques de complications et une amélioration de la procédure d’anesthésie locale [15].

Fig. 1
figure 1

A gauche, grille de guidage pour biopsies systématiques par voie transpérinéale. A droite, guide pour biopsie transpérinale de type « main-libre »

Recommandations actuelles

Les recommandations de l’Association Européenne d’Urologie (EAU) préconisent d’effectuer des biopsies, en favorisant la voie transpérinéale comme approche de choix [8]. L’IRM est également reconnue comme une technique de choix pour détecter les lésions en cas de suspicion de cancer de la prostate cliniquement significatif. Les prélèvements seront à effectuer dans les lésions identifiées et de manière systématique. En revanche, sans imagerie effectuée au préalable (l’accès à l’IRM pouvant être restreint) il est recommandé d’effectuer au minimum 12 prélèvements anatomopathologiques systématiques [16].

Si l’IRM pré-biopsie a été réalisée, la fusion avec l’imagerie d’échographie en temps réel peut être accomplie selon trois méthodes: soit par un logiciel de fusion d’images, soit de manière cognitive par l’opérateur ou alors avec des biopsies effectuées sous guidage directe de l’IRM. Actuellement, il n’y a pas de différences statistiquement significatives entre ces trois techniques au niveau du taux de détection de cancer significatif [17]. Ces trois méthodes sont donc jugées comme équivalentes selon les recommandations bien que chacune présente des avantages et des inconvéniants.

En ce qui concerne les risques de complications infectieuses, il est recommandé d’utiliser une antibioprophylaxie ciblée. Si la voie transrectale venait à être pratiquée, un frottis anal ou une culture de selle au préalable est recommandé. Une prophylaxie antibiotique ciblée en amont associée à une préparation povidone-iode rectale lors de la biopsie est à effectuer [18, 19]. Pour l’approche transpérinéale, une désinfection cutanée soigneuse est principalement nécessaire. Une antibioprophylaxie orale est débattue et les recommandations ne sont pas claires sur ce point. En effet, certaines études ne retrouvent pas de différence significative d’infection avec et sans prophylaxie antibiotique ce qui pourrait amener à changer les pratiques dans les années à venir [20, 21].

Dans la pratique, à Genève

Nous travaillons depuis 2011 avec l’Urostation Koelis, qui est une interface permettant la fusion d’images IRM avec celles de l’échographie en temps réel (Fig. 2). Le système a été upgradé en 2019 avec la nouvelle version Trinity incluant une sonde d’échographie linéaire et un software de fusion d’images spécifique permettant l’abord périnéal également. Après plusieurs années d’expertise par voie transrectale, nous avons adapté la voie de biopsie pour l’abord transpérinéal qui est effectué de manière systématique, sauf exception, depuis 2020. L’opérateur charge les images de l’IRM, séquence T2 axiale, en amont de la réalisation des biopsies dans le système. Par la suite, il délimite le contour de la prostate ainsi que les lésions suspectes préalablement identifiées par le radiologue (lésions PI-RADS ≥ 3) sur les coupes d’IRM. La sonde d’échographie endorectale est ensuite mise en place, et un balayage de la prostate est effectué automatiquement. Le contour de la prostate est délimité manuellement. Par la suite, le système effectue automatiquement une fusion élastique des images, en superposant les lésions IRM sur les images d’échographie visibles en direct. Par la suite, entre 2 et 4 biopsies par cibles, sont effectuées, ainsi que des biopsies randomisées (en général 8 à 14 biopsies randomisées selon la taille de la prostate) dont le but est de détecter des lésions qui ne sont pas vues à l’IRM afin de personnaliser la prise en charge thérapeutique, notamment en termes de thérapie focale ou préservation des bandelettes neurovasculaires lors d’une prostatectomie radicale (Fig. 3). Un avantage de cette technologie est la possibilité de réaliser des biopsies dites virtuelles, permettant de s’assurer un ciblage adéquat avant d’effectuer la biopsie.

Fig. 2
figure 2

Urostation Koelis. Le patient est installé en position gynécologique sur la table de l’examen pour la procédure

Fig. 3
figure 3

Image de fusion IRM-TRUS obtenue lors de biopsies par voie transpérinéale avec l’urostation Koelis. En vert, les lésions suspectes contourées identifiées à l’IRM

Notre protocole d’anesthésie locale consiste en une application de crème anesthésiante par le patient sur le périnée 180, 120 et 60 minutes avant la consultation. Par la suite, après une désinfection cutanée iodée, une première infiltration sous-cutanée de la région périnéale est pratiquée avec 10ml de Lidocaïne de chaque côté. Après quelques minutes, un bloc prostatique bilatéral est effectué sous contrôle échographique avec 20ml de Lidocaïne au total (Fig. 4). Cette anesthésie rend le geste soutenable par le patient dans la majorité des cas. En cas de réticence à l’anesthésie locale de la part du patient, les prélèvements sont effectués sous anesthésie générale au bloc opératoire.

Fig. 4
figure 4

Matériel utilisé pour les biopsies par voie transpérinéale (avec notamment désinfection, anesthésie et pistolet à ponction)

Une étude s’intéressant au port d’un casque de réalité virtuelle durant les biopsies est en cours dans notre institution, afin de déterminer si cette technologie peut améliorer le confort du patient et diminuer son anxiété.

Évolutions futures

A l’heure actuelle, les recommandations sont faites pour éviter de passer à côté de cancer significatif, tout en évitant de détecter des cancers non-significatifs qui amène à des risques d’investigation et de sur-traitement. Il y a donc une tendance vers un ciblage des lésions d’intérêts décrites à l’imagerie pré-biopsie [22]. Actuellement, des prélèvements systématiques sont toujours réalisés et recommandés, toutefois les pratiques diffèrent et ne sont pas homogènes. Les améliorations constantes de l’IRM, ou d’autres moyens d’imagerie comme le micro-ultrason par exemple, nous permettront probablement un jour d’effectuer uniquement des biopsies dans les régions qui ont été identifiées comme suspectes, sans risque de passer à côté d’une lésion significative [23].

Concernant la réalisation des biopsies, il faut tout d’abord s’attendre à voir des améliorations progressives dans les logiciels de fusion d’imagerie notamment sur la précision de la fusion d’images. De plus, afin de diminuer les imprécisions et erreurs potentielles dépendant de l’opérateur, une robotisation du geste est également une piste de développement depuis plusieurs années [24]. Néanmoins, on peut estimer que le déploiement à grande échelle restera limité en raison du coût conséquent de tels systèmes automatisés.

Pour l’analyse anatomo-pathologique des prélèvements, il existe la possibilité d’une entrée en matière progressive de l’intelligence artificielle, qui pourrait être envisagée pour une lecture histologique facilitée et accélérée [25].

Conclusion

La réalisation des biopsies de prostate est un geste qui a toujours été en constante évolution. Initialement considéré comme une procédure particulièrement invasive et grevée d’effets indésirables, elle tend à être moins risquée et plus précise. Avec le temps, les complications ont pu être nettement diminuées, notamment les risques infectieux qui sont actuellement estimés comme rares.

Par ailleurs, le confort du patient a été largement pris en considération et les techniques d’anesthésie locale actuelles permettent de contrôler efficacement les douleurs.

Dans les années à venir, on peut encore s’attendre à une amélioration de la technique actuelle. Les axes importants de développement concernent un ciblage plus précis des lésions suspectes préalablement identifiées tout comme une automatisation du geste et de la lecture histologique.