Introduction

Chaque année dans le monde, 500.000 nouveaux cas de CV sont diagnostiqués et 200.000 personnes en meurent [1]. Son incidence est plus élevée chez les hommes que chez les femmes, mais celles-ci ont un risque de progression vers une maladie invasive et un taux de mortalité plus élevé [2]. Avec un coût annuel estimé à 3,7 milliards de dollars américains, il s’agit de la tumeur solide la plus coûteuse à traiter, principalement en raison de son taux de récidive élevé impliquant une surveillance continue [3].

Le CV est reparti en deux groupes bien distincts: le CV qui n’envahi pas le muscle détrusor (cancer de la vessie non musculo-invasif [CVNMI]) et le CV invasif sur le plan musculaire (cancer de la vessie musculo-invasif [CVMI]). Le CVNMI est le type rencontré le plus fréquemment en pratique clinique, représentant environ 75 % de tous les cas. Ses résultats oncologiques sont généralement favorables, malgré un taux de récidive estimé à plus de 50 %. En fonction des caractéristiques de la tumeur, on observe chez environ un cinquième des patients une progression vers un CVMI [4].

La cystectomie radicale (CR) est le traitement de choix et à l’heure actuelle le seul traitement à visée curative pour le CVMI. Avec toutefois plus de 50 % de risque de récidive de plus de 50 % dans les deux premières années suivants l’intervention [5]. La CR est associée à la confection d’une dérivation urinaire non continente (conduit iléal ou urétérocutanéostomie) ou continente (vessie iléale hétéro- ou orthotope). Le choix de la modalité de dérivation dépend du stade tumoral, de l’âge, des comorbidités et du choix du patient. On observe des complications fonctionnelles comprenant notamment des troubles de la fonction urinaire, sexuelle ou des perturbations métaboliques chez près de 90 % des patients dans les 15 ans qui suivent l’intervention [6].

Malgré les énormes progrès réalisés sur le plan du diagnostic et du traitement, le CV reste une maladie difficile à gérer en raison de son hétérogénéité. Le diagnostic précoce d’une éventuelle récidive est essentiel pour améliorer les résultats oncologiques et fonctionnels. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’un suivi trop rapproché peut entraîner des surcoûts et augmenter inutilement le stress éprouvé par le patient. Par conséquent, un suivi personnalisé en fonction du patient et des caractéristiques tumorales, demeure le principal défi du médecin.

Suivi du cancer de la vessie non musculo-invasif

Les patients présentant un CVNMI nécessitent un suivi régulier, variant en fonction du risque de récidive et de progression. Ceux-ci peuvent être calculés en appliquant divers modèles pronostiques, décrit dans la littérature. On retiendra principalement les scores de l’EORTC (European Organization for Research and Treatment of Cancer) et du CUETO (Club Urológico Español de Tratamiento Oncológico), qui permettent de répartir les patients en groupe de risque sur la base du nombre de tumeurs, de leur taille, du stade et du grade de la tumeur, de la présence de carcinome in situ, et de la survenue d’une récidive [7]. Malgré tout, malgré des scores similaires, l’évolution peut varier considérablement entre les patients.

Le suivi standard d’un CVNMI comporte une cystoscopie associée à une cytologie urinaire. L’intervalle entre les examens varie selon la catégorie du risque calculée à l’aide de l’un ou de l’autre score. Il va de soi que plus le risque de progression ou de récidive est élevé, plus le suivi sera rapproché. Bien que la cystoscopie ait une sensibilité et une spécificité élevées, il s’agit d’une procédure coûteuse et invasive, comportant un risque faible de complications telles qu’infections urinaires, douleurs et saignements. La cytologie urinaire a quant à elle une sensibilité faible, de seulement 33–48 %, mais une spécificité bien plus élevée de l’ordre de 86–90 % [8, 9]. A noter que la cytologie urinaire est surtout utile dans la détection des tumeurs de haut grade avec valeur prédictive positive de 90 %, alors qu’elle ne dépasse pas 60 % en cas de cancers de bas grade [10]. La cytologie urinaire prélevée par lavage vésical semble avoir une sensibilité plus élevée, que celle obtenue à partir d’urines natives, récoltées lors de la miction [11].

De multiples études ont identifié des biomarqueurs exprimés par les cancers urothéliaux, avec pour principal objectif de réduire le nombre de cystoscopies, en diagnostiquant précocement une récidive de la maladie. Le second but mis en avant par cette approche est l’identification des patients à haut risque de progression oncologique. Toutefois, pour le moment, seuls quelques-uns d’entre eux ont été validé dans la pratique clinique, mais toujours associé à une cystoscopie et une cytologie urinaire. Leur utilisation reste actuellement marginale en pratique clinique quotidienne [12].

Suivi du cancer de la vessie musculo-invasif

La majorité des patients souffrant d’un CVMI bénéficie d’une CR associée à un curage ganglionnaire ilio-obturateur et une dérivation urinaire. Après l’intervention, il est important d’assurer un suivi afin de surveiller une éventuelle récidive oncologique ou l’apparition de complications fonctionnelles.

Suivi oncologique

Le but du suivi oncologique est d’identifier précocement la survenue d’une récidive à distance (poumon, os, foie et cerveau) ou une récidive locale (loge de cystectomie, voies urinaires hautes ou urètre). Le risque de récidive est influencé par les caractéristiques du patient, le stade tumoral, l’association d’un variant histologique, la présence de métastases ganglionnaires, ainsi que l’invasion lymphovasculaire, vont influencer le risque d’une récidive.

Le CT thoraco-abdomino-pelvien (TAP) comprenant des phases tardives est l’examen recommandé par toutes les sociétés savantes et par conséquent le plus utilisé. Le CT TAP présente une haute sensibilité pour la mise en évidence de lésions pulmonaires et hépatiques [13]. Les métastases ganglionnaires constituent par contre un défi majeur au vu de l’incapacité du CT TAP à discriminer une atteinte ganglionnaire métastatique de ganglions lymphatiques normaux [14].

En cas de contre-indication à la réalisation d’un CT avec injection de produit de contraste (insuffisance rénale ou allergie), une IRM reste une bonne alternative. Elle a une plus grande sensibilité que le CT TAP pour détecter les métastases hépatiques, mais une sensibilité et une spécificité similaires pour les ganglions lymphatiques abdominaux. Son coût et son manque de disponibilité dans tous les centres limitent son utilisation [14]. En ce qui concerne l’imagerie par médecine nucléaire, la réalisation d’une tomographie par émission de positons au 18F‑fluorodéoxyglucose combinée à la tomodensitométrie (FDG-PET-CT) est de plus en plus utilisée pour la stadiation préopératoire. Il n’est par contre pas indiqué en première intention dans le suivi des patients. Il est cependant utile en cas de récidive suspectée au CT TAP chez les patients présentant une tumeur à haut risque [15].

A part le bilan radiologique, l’urétroscopie, la cytologie urinaire urétrale et du haut appareil appartiennent également au suivi oncologique. Une récidive urétrale peut être observée dans 1 à 14 % des cas dans les 2 ans après la CR [16]. La cytologie urinaire est une méthode simple et non invasive pour détecter les cancers secondaires de l’urètre. La fréquence de la réalisation de ce test n’est par contre pas spécifiée dans les recommandations internationales. En ce qui concerne le suivi endoscopique, l’urétroscopie est recommandée chez les patients à haut risque de récidive tous les 6 mois la première année, puis tous les ans jusqu’à la 5ème année [17].

Suivi métabolique et fonctionnel

Les patients ayant bénéficié d’une CR, et ce indépendamment du type de dérivation urinaire utilisée, doivent bénéficier d’un suivi fonctionnel et métabolique. Le bilan comprend un contrôle des paramètres biologiques, comme la fonction rénale et l’acidose métabolique évaluée à l’aide d’une gazométrie veineuse. La situation mictionnelle chez les patients porteur d’une vessie de substitution, ou un contrôle de la stomie urinaire en cas de dérivation non-continente de même que l’évaluation de la fonction sexuelle font partie intégrante du suivi.

Une péjoration de la fonction rénale est mise en évidence chez environ 1/3 des patients dans les suites d’une CR. Les causes en sont multiples : l’hypertension artérielle, des infections urinaires récidivante ainsi qu’une atteinte rénale préalable (débit de filtration glomérulaire inférieur à 50 ml/min/1,73 m2) sont des facteurs prédisposant l’insuffisance rénale post-opératoire [18]. Chez un patient sur 10, la péjoration de la fonction rénale peut être due à une obstruction du haut appareil urinaire, en raison de la survenue d’une sténose urétéro-iléale. Celles-ci dépendent du type de dérivation urinaire et de la technique chirurgicale employée. Elles sont décrites chez 10 à 20 % des patients et peuvent survenir même après 15 ans de suivi [19]. Un suivi de la créatininémie et des électrolytes est recommandé tous les 3 mois durant les deux premières années et ensuite une fois par année.

Des modifications métaboliques peuvent être engendrées par les dérivations urinaires. Les patients ayant bénéficié d’une CR avec dérivation urinaire continente peuvent présenter des modifications de l’équilibre acido-basique, conduisant à l’apparition d’une acidose métabolique [20]. Les symptômes évocateurs d’une acidose sont l’apparition de nausées, de vomissement et un reflux gastro-œsophagien. Une gazométrie veineuse est donc nécessaire afin d’évaluer l’excès de base dans le sang. Un traitement par administration orale de bicarbonate de sodium (Néphrotrans®) est utilisé pour corriger ce déséquilibre. En général, tous les patients porteurs d’une vessie de substitution doivent initialement substitué par un apport externe de bicarbonate de sodium, mais celui-ci peut être réduit voir arrêté à distance de l’intervention [21].

Les dérivations urinaires utilisant l’iléon terminal (la grande majorité de nos jours), peuvent aussi provoquer un déficit en vitamine B12 dans les 3 à 5 ans après l’intervention, en raison d’une malabsorption à ce niveau [19]. Un dosage de la vitamine B12 est donc recommandé chaque année à deux ans de l’intervention. Le cas échéant une supplémentation doit être prescrite.

L’évaluation de la situation mictionnelle et de la fonction sexuelle fait aussi parti du suivi de ces patients. Chez les patients porteurs d’une dérivation urinaire continente (vessie de substitution), le résidu post-mictionnel doit être régulièrement évalué, de même que la continence. Dans les centres hospitaliers à haut volume, la majorité des patients porteur d’une vessie de substitution atteignent une continence diurne dans les 6 mois après la CR [22]. L’incontinence nocturne est souvent plus fréquente mais reste d’un degré modéré [23]. L’auto-sondage intermittent est rarement nécessaire, en particulier chez les hommes.

Les patients porteurs d’une iléostomie sont suivis après l’intervention par une infirmière spécialisée, afin d’apprendre à gérer eux-mêmes leur stomie. Chez ceux-ci, les principales complications à distance sont l’apparition d’une hernie parastomale ou d’une sténose au niveau cutané.

Enfin, l’altération de la fonction sexuelle est une complication fréquente dans les suites d’une CR. Chez les hommes, l’épargne nerveuse lors de la chirurgie ainsi que la présence d’une fonction érectile normale avant l’intervention diminuent significativement le risque de dysfonction érectile [24]. Comme traitement, il est donc rapidement proposé au patient la prise d’inhibiteur de la phosphodiestérase type 5 (Cialis® ou Viagra® entre autres). En cas de non réponse ou de réponse peu satisfaisante, l’utilisation d’une pompe à vide ou bien la réalisation d’injection intra-caverneuses (Caverject®) peut être proposées. La moitié des femmes ayant bénéficiés d’une CR signale une répercussion sur leur vie sexuelle. Malgré que le sujet soit encore peu investigué à l’heure actuelle. Il est essentiel de discuter avec les patientes l’utilisation de lubrifiants, l’application d’œstrogènes topiques, ou l’utilisation d’accessoires dédiés, afin de faciliter un retour à une vie sexuelle épanouie. L’orientation vers une thérapie physique pour la rééducation du plancher pelvien ou vers un sexothérapeute est à considérer [25].

Suivi du cancer de la vessie dans un contexte palliatif

Le suivi des patients avec un CV en situation palliative nécessite une prise en charge multidisciplinaire, comprenant les urologues, les oncologues et les radiothérapeutes. L’objectif recherché chez ces patients vise à réduire la progression de la maladie, de soulager les symptômes secondaires à la tumeur. Ces symptômes comprennent la douleur, l’hématurie macroscopique et l’insuffisance rénale provoquée par une obstruction des voies urinaires.

Lors d’épisodes d’hématurie macroscopique et en cas d’un contrôle endoscopique impossible, une radiothérapie locale à but hémostatique peut être proposée. Une formolisation (instillation d’une solution de formaldéhyde) de la vessie sous anesthésie générale peut également être offerte en dernier recours. En cas d’échec de traitement local des symptômes, une cystectomie palliative avec dérivation urinaire peut être conseillée dans des cas très sélectionnés.

Conclusion

Le CV est une maladie très hétérogène, qui nécessite un suivi oncologique et fonctionnel à long terme. Le développement de protocole de suivi individualisé pourrait diminuer le nombre d’examens invasifs et réduire les coûts de la santé, tout en assurant un diagnostic précoce en cas récidive. Il est important de ne pas sous-estimer l’impact au niveau fonctionnel que la maladie peut avoir sur la qualité de vie du patient.