Le syndrome de Tako-Tsubo ou syndrome de ballonisation apicale (SBA) est caractérisé par la survenue brutale mais réversible d’une dysfonction ventriculaire gauche classiquement apicale.1 Plus récemment des variantes ont été décrites avec des atteintes basales connues sous le nom de « reverse Tako-Tsubo ».2,3 Rarement, ce syndrome peut prendre la forme d’un choc cardiogénique réfractaire pouvant nécessiter le recours à un « extracorporeal life support » (ECLS).4,5 Un excès de catécholamines circulantes, par exemple lors d’un stress physique ou psychique intense, pourrait être à l’origine du SBA.6 Une administration exogène de catécholamine pourrait également déclencher une telle symptomatologie. Nous rapportons le cas d’une patiente de 49 ans ayant présenté un choc cardiogénique réfractaire compliquant un « reverse Tako-Tsubo » après injection iatrogène d’un mg d’adrénaline intraveineuse et ayant justifié la mise en place d’une assistance circulatoire percutanée. L’accord de la patiente a été obtenu avant soumission de ce cas.

Éléments cliniques

Une patiente de 49 ans aux antécédents de maladie thromboembolique veineuse sur Facteur V Leyden a été hospitalisée dans un hôpital périphérique pour la réalisation d’une cholécystectomie coelioscopique. Elle ne prenait aucun traitement usuel. La consultation d’anesthésie objectivait seulement une bradycardie sinusale à 57/min habituelle selon la patiente. Aucune contre indication à la chirurgie n’a donc été retenue. Après une induction d’anesthésie associant de la kétamine (0,15 mg·kg−1), du sufentanil (0,23 μg·kg−1), du propofol (3 mg·kg−1) et du cisatracurium (0,15 mg·kg−1), la patiente a présenté une acutisation de sa bradycardie sinusale sans altération hémodynamique (pouls = 45/min, pression artérielle moyenne (PAM) supérieure à 65 mmHg). Lors de l’insufflation péritonéale en vue de la coelioscopie, une défaillance circulatoire brutale est apparue avec une PAM à 45 mmHg en rapport avec une bradycardie extrême sinusale à 29/min. On ne remarquait aucun signe clinique évocateur d’un choc anaphylactique. Malgré l’administration d'1 mg d’atropine iv, cette bradycardie mal tolérée a persisté conduisant l’anesthésiste en charge à l’utilisation d'1 mg d’adrénaline iv. Immédiatement après l’injection, la patiente a présenté une poussée hypertensive suivie d’un passage en tachycardie ventriculaire spontanément résolutif en quelques secondes. A l’issue de cet épisode hypertensif, une défaillance circulatoire majeure est apparue avec une PAM inférieure à 40 mmHg associée à une tachycardie sinusale à 100/min. Une échocardiographie transoesophagienne (ETO) a alors été réalisée en urgence à la recherche d’une embolie pulmonaire possible. Ce diagnostic est éliminé mais l’examen a objectivé une défaillance ventriculaire gauche avec akinésie basale (akinésie des parois septales et latérales) et contractilité apicale conservée. La fraction d’éjection ventriculaire gauche était estimée à 10-15 %. Devant ce résultat, des amines inotropes positives à fortes doses ont été introduites (dobutamine à 25 μg·kg−1·min−1 et adrénaline à 2,8 μg·kg−1·min−1) permettant de restaurer une hémodynamique satisfaisante. Après concertation entre l’anesthésiste et le chirurgien, cet état hémodynamique était considéré compatible avec la poursuite de la chirurgie coelioscopique à très faible pression. La chirurgie durera 30 min. A l’issue de l’intervention, la patiente a été transférée en réanimation, sous sédation et ventilée.

Le diagnostic d’une forme inverse de « reverse Tako-Tsubo » était posé devant: la présence de signes ischémiques à l’électrocardiogramme avec un sus décalage du segment ST en latéral, une augmentation des enzymes cardiaques avec une troponine à 8,47 μmol·L−1 (N < 0,05), l’absence d’anomalie coronarienne objectivé par un coro-scanner normal et l’ETO retrouvant une akinésie basale mais contractilité apicale préservée. Devant la présence de ce choc cardiogénique réfractaire malgré de hautes doses d’amines et d’un œdème pulmonaire aigüe mal toléré (Sp02 = 94% malgré une F i O2 à 1 et pression expiratoire positive à 18 cm H2O), l’unité mobile d’assistance circulatoire (UMAC) était contactée afin de réaliser la mise en place d’un ECLS avant un transfert vers la réanimation spécialisée de notre centre. L’UMAC est composée d’un chirurgien cardiaque, d’un anesthésiste réanimateur et d’un infirmier perfusionniste. Après réévaluation de l’état de la patiente, une assistance circulatoire veinoartérielle (Biomedicus®) par voie percutanée fémorale était mise en place avant le transfert. Un double abord vasculaire fémoral a alors été réalisée (une canule veineuse avec son extrémité distale située au niveau de l’oreillette droite et une canule artérielle avec embout distal au niveau de l’aorte abdominale), un système de perfusion rétrograde de l’artère fémorale superficielle étant alors nécessaire afin de prévenir le risque d’ischémie aigüe du membre canulé. Cependant, durant la période de canulation et à cause de l’aggravation continue de sa pathologie cardiaque, la patiente a présenté un arrêt cardio-circulatoire sur fibrillation ventriculaire. Un rythme sinusal était récupéré à la mise en route de l’ECLS. La période de bas débit a été de cinq minutes. Un débit de pompe continu à 3,4 L·min−1 a permi d’obtenir une stabilité hémodynamique compatible avec le transport routier vers notre centre. A son arrivée en réanimation spécialisée, on a introduit une hypothermie thérapeutique à 34°C pendant 24 h en raison de cet arrêt cardiaque. On notait par ailleurs une acidose métabolique d’origine lactique (lactatémie = 11,53 mmol·L−1), une insuffisance rénale aigue à diurèse conservée (créatininémie à 157 μmol·L−1) et une insuffisance hépatocellulaire avec un taux de prothrombine à 37 % associé à un facteur V à 18 % (normales > 55 %) conséquence d’une cytolyse hépatique (ASAT à 1498 UI et ALAT à 1583 UI). L’évolution sous assistance a été rapidement favorable. Les contrôles échographiques quotidiens ont objectivé une récupération progressive de la fonction systolique ventriculaire gauche et de la contractilité des parois latérales et septales. L’ECLS était retiré le 4e jour de façon concomitante au sevrage complet en amines inotropes et vasotropes positives. Au neuvième jour, la patiente a été extubée et a quitté la réanimation le 12e jour sans aucune séquelle neurologique ni défaillance d’organes.

Sur le plan étiologique, le caractère exclusivement iatrogène de ce « reverse Tako-Tsubo » était retenu devant: la cinétique d’apparition des symptômes, la négativité des marqueurs sériques de tumeur neuroendocrines (Chromogranine A et neuron specific enolase) le dosage normal des catécholamines plasmatiques à 48 h (noradrénaline: 201 pg·mL−1 (N < 280), dopamine: 47,5 pg·mL−1 (N < 80), adrénaline: non détectable), le bilan morphologique par scanner thoraco-abdomino-pelvien normal et un bilan infectieux à la recherche d’une myocardite négatif.

Les suites de soins étaient simples et la patiente quittait l’hôpital après un mois d’évolution, sa fonction ventriculaire gauche ayant récupéré ad integrum.

Discussion

Le SBA est une entité de description récente. Le premier cas a été rapporté par Dote et coll. au Japon en 1991.7 Depuis de nombreux cas ont été rapporté dans la littérature dont des formes atypiques notamment une forme inverse, comme dans notre cas, nommée « reverse Tako-Tsubo » avec des anomalies de la base du cœur associées à une hyperkinésie apicale.8 Le plus fréquemment, ces anomalies sont totalement réversibles en quelques jours. Cependant, dans 4,2 % des cas peuvent survenir des formes dites graves nécessitant une hospitalisation en réanimation.1 Les formes « reverse » et apicales ne diffèrent pas quant à leurs capacités de récupération ou leur taux de mortalité.9 La nécessité d’une assistance circulatoire par ECLS comme dans notre cas reste très anecdotique.4,5 Bien que le pronostic du SBA dépende essentiellement du facteur déclenchant (phéochromocytomes, hémorragie méningée, stress intense, ou autre), il semblerait tout de même que la mortalité de ces patients soit supérieure à celle prédite chez des sujets du même âge.10

Ce cas clinique présente plusieurs intérêts. Premièrement, il permet de conforter la physiopathologie supposée du SBA. Des études antérieures ont démontré que les patients présentant un SBA avaient des taux élevés de catécholamines circulantes.6 Ces catécholamines peuvent être d’origine endogène (phéochromocytomes par exemple) ou exogène (injection iatrogène d’adrénaline par exemple). Ceci pourrait engendrer une toxicité myocardique directe ou induire des troubles de la microcirculation myocardique responsables de la symptomatologie.6 En effet le débit sanguin dans les microvaisseaux des zones atteintes est réduit durant la phase aigue de l’affection alors que le débit sanguin coronaire reste normal.11 Le nombre croissant de récepteurs β-adrénergiques de la région basale vers la région apicale serait à l’origine de la vulnérabilité augmentée de l’apex à l’augmentation brutale du taux de catécholamines circulantes expliquant ainsi les formes typiques.12 Cependant les formes « reverse » comme dans notre cas démontrent une variabilité interindividuelle importante de la concentration myocardique de ces récepteurs. De plus l’analyse des différents cas cliniques publiés évoquant des SBA après injection iatrogène d’adrénaline ne permet pas de mettre en évidence un lien entre la dose injectée et la gravité de la symptomatologie.2,3,8,13-17 Celle-ci peut être très variable allant de la dyspnée minime au choc cardiogénique réfractaire requérant une assistance circulatoire (Tableau 1). Il ne semble donc pas exister de lien dose-effet. Une dose minime, en raison de la variabilité interindividuelle, peut ainsi avoir des conséquences importantes.

Tableau 1 Comparaison entre les différents SBA d’origine iatrogène

Deuxièmement, ce cas illustre la nécessité d’une administration prudente d’adrénaline chez les patients. En Europe et en Amérique du Nord, les seules recommandations d’utilisation per opératoire d’adrénaline sont l’arrêt cardio-circulatoire à la posologie d'1 mg toutes les trois minutes, le choc anaphylactique grade 3 ou 4 avec une posologie plus faible aux alentours de 0,1 mg à répéter en fonction de la réponse du patient, le choc septique ne répondant pas à la noradrénaline ou l’hypotension suivant une chirurgie de pontage coronarien.18,19 En dehors de ces situations, nous pensons que ce médicament puissant ne doit pas être utilisé de façon inappropriée.

Enfin ce cas montre l’intérêt des équipes mobiles d’assistance circulatoire. En effet, sans l’intervention de l’UMAC, il aurait été probable que cette patiente décède avant son transfert vers notre centre. Ces unités mobiles permettent de mettre en œuvre à distance une assistance circulatoire sécurisant ainsi le transfert routier ou aérien vers la réanimation spécialisée régionale.20 Gariboldi et coll. ont montré dans une étude regroupant 38 patients que les UMAC étaient sures, rapides et bénéfiques. En effet dans leur série, on notait un temps de réponse court entre l’appel et l’implantation de l’ECLS (90 min au maximum). Aucune complication en lien avec la canulation ou la mise en route de la pompe n’était retrouvée. Enfin, le taux de survie était acceptable quand on connaît la gravité de ces malades avec 55 % de patients vivants à la sortie de l’hôpital dont un seul avec un déficit neurologique permanent.20

Conclusion

Le SBA post injection iatrogène d’adrénaline reste une entité rare mais de plus en plus souvent décrite. Sa gravité semble patient-dépendant mais un choc cardiogénique réfractaire peut survenir imposant une assistance circulatoire. En cas de survenue dans une structure ne possédant pas cet équipement, une UMAC semble être une solution fiable afin d’optimiser les chances du patient.