Au rédacteur en chef,

La détresse psychologique préopératoire pourrait contribuer à la survenue de douleurs chroniques après chirurgie. Nous avons évalué l’aptitude prédictive de l’échelle de détresse psychologique de Kessler (K6)1 dans la survenue de douleurs persistant 14 jours après chirurgie du poignet réalisée sous anesthésie régionale. L’échelle K6 est constituée d’un questionnaire portant sur le sentiment de nervosité, de désespoir, d’agitation, de dépression, de découragement et d’inutilité ressenti au cours du dernier mois. Chacun des six items est noté sur 4 points, pour un score total allant de 0 à 24 points.

Cette étude mono-centrique, prospective, observationnelle a été réalisée au sein du service d’anesthésie de l’hôpital Joseph Ducuing (Toulouse). Après accord institutionnel et consentement éclairé, 40 patients opérés au poignet sous anesthésie régionale ont été inclus prospectivement. Les variables démographiques, socio-professionnelles (statut marital, accident de travail, traumatisme psychologique antérieur), psychologiques (la forme Y de Spielberger du State-Anxiety-Inventory [SAI] et du Trait-Anxiety-Inventory [TAI] de même que le K6),1,2 ainsi que la consommation d’antalgique et les douleurs préopératoires ont été relevées avant la chirurgie.3 Après injection de midazolam 1 mg, une anesthésie régionale échoguidée du bras était réalisée par voie axillaire avec 30 mL d’une solution de lidocaïne 1,5 % adrénalinée. Les patients bénéficiaient d’une analgésie postopératoire standardisée comportant du paracétamol, du tramadol et des anti-inflammatoires. Deux semaines après l’intervention, un anesthésiologiste ne connaissant pas les réponses au questionnaire K6 contactait par téléphone les patients afin d’évaluer leur douleur postopératoire sur une échelle numérique analogique (ENA) allant de 0 à 10.

L’analyse statistique a été faite par régression logistique univariée afin de retenir les variables les plus pertinentes et en déduire les rapports de cote (RC [intervalle de confiance à 95 %]), suivie d’une régression logistique multivariée par étapes descendantes sur les variables précédemment sélectionnées afin d’extraire les facteurs de risque significatifs (P < 0,05).

Les participants étaient âgés en moyenne (écart type) de 54 (15) ans. Il y avait 13 hommes et 27 femmes. Huit patients sur les 40 inclus dans l’étude (20 %) présentaient une ENA ≥ 3 14 jours après l’intervention. L’analyse univariée montrait comme facteur de risque significatif socio-professionnel le contexte d’accident de travail (RC = 7 [1,2-39]), et comme facteurs de risque psychologique le score d’anxiété générale (RC = 1,79 [1,10-2,91]), le TAI (RC = 1,13 [1,03-1,24]) et le K6 (RC = 1,33 [1,03-1,61]). L’analyse multivariée par étapes descendantes retenait le K6 comme facteur indépendant le plus discriminant du modèle (RC = 1,33 [1,03-1,61], P < 0,005) (Figure). Le score de Kessler apparaissait fortement corrélé au TAI (Spearman Ρ = 0,61; P < 0,001), au SAI (Spearman Ρ = 0,59; P < 0,001) et à l’ENA (Spearman Ρ = 0,53; P < 0,001). La courbe « receiver operating characteristics » (ROC) montrait une aire sous la courbe de 0,78 (P < 0,05). Un K6 ≥ 10 avait une sensibilité de 75 % et une spécificité de 91 % pour prédire une ENA ≥ 3 deux semaines après la chirurgie.

Figure
figure 1

Modèle logistique donnant la probabilité de douleur sur une échelle numérique analogique (ENA) ≥ 3 au 14e jour postopératoire en fonction du score de Kessler

Notre étude présente plusieurs limitations. Notre faible effectif pourrait avoir masqué les corrélations de variables pourtant significatives dans d’autres études, en particulier la douleur postopératoire immédiate.4 De plus, notre étude est limitée dans le temps puisque les patients n’ont été suivis que pendant deux semaines. Il n’est donc pas possible de conclure à un lien entre score de Kessler et chronicisation de la douleur trois mois après l’intervention. D’autres études sont nécessaires.

Notre étude suggère l’existence d’interactions entre facteurs psychosociaux et neurobiologiques. La détection précoce des patients risquant de développer des douleurs postopératoire aiguës soulève la question d’une stratégie préventive axée sur l’aspect psycho-comportemental. Il serait donc intéressant d’évaluer chez les patients présentant un score de Kessler ≥ 10 l’impact d’une prise en charge axée sur l’aspect cognitivo-comportemental. Le score de Kessler était significativement corrélé à la survenue de douleurs postopératoires prolongées. Ces résultats incitent à mieux étudier les facteurs neurobiologiques et psychosociaux impliqués dans la survenue de douleurs aiguës, en particulier pour les patients ayant un score de Kessler ≥ 10.