Nous avons évoqué la loi sur la traçabilité concernant le riz, mais ce n’est ni la seule, ni la plus ancienne, loin de là, à avoir été créée pour règlementer le marché du riz au Japon. Déjà au XVIIIe siècle,Footnote 16 on peut noter un intérêt croissant à vouloir réguler ce marché.
Le droit ancien: le riz et la loi
L’intervention du gouvernement dans la distribution alimentaire (avant et après la Première Guerre mondiale jusqu’à la Seconde Guerre mondiale)
Avant la Première Guerre mondiale, nous pouvons citer trois dates qui jalonnent la création d’institutions liées avec la gestion du riz. Tout d’abord, en 1730, le centre d’opération à terme (de distribution) du riz a été fondé. À l’époque, il fut mis en place à Osaka, qui était le centre du commerce du riz. Ensuite, en 1886, le marché du riz de Tokyo a été mis en place. Un marché du riz, en tant que produit concret à vendre, a été ouvert à Tokyo. Le riz pour la consommation des habitants de Tokyo était vendu sur ce marché; il devint alors la base pour le commerce du riz. Enfin, en 1908, le marché de Tokyo a été réorganisé en bourse des marchandises du riz. Celle-ci a été mise en place pour les transactions de riz et les échanges de produits de base complets. Des produits agricoles autres que le riz étaient également régis par ce marché.
Après la Première Guerre mondiale, le prix du riz était instable et une loi sur le riz (Beikokuhō 米穀法) fut instituée afin de supprimer les fortes fluctuations des prix. Les achats, les échanges, le façonnage et la provision du riz ont alors été régulés par le gouvernement. Puis, la loi sur le contrôle du riz (Beikokutōseihō 米穀統制法) [4] a été introduite en 1931 pour remédier à la forte différence entre le prix le plus élevé et le prix le plus bas du riz proposé à la vente. Ensuite, la loi sur le riz a été améliorée en 1933. Le gouvernement faisait des achats et des ventes illimités au prix officiel et il exerçait aussi un contrôle sur l’importation et l’exportation du riz.
En 1936, une loi complémentaire à celle de contrôle du riz (Beikokujichikanrihō 米穀自治管理法) a été promulguée. Plutôt que le gouvernement, des acteurs autonomes, tels que les producteurs, ont été autorisés à prendre des mesures pour contrer les excès de production du riz. Le gouvernement obligeait auparavant les producteurs à stocker le riz et il ne permettait pas la libération de son stockage si le prix n’augmentait pas de 10% au-delà de la norme du prix le plus bas. [5: 757–762]
Le contrôle du riz excédentaire était fait par un Comité de gestion qui imposait des économies d’une certaine quantité déterminée de riz. Les syndicats de l’industrie, en tant que représentants du gouvernement, contrôlaient le riz excédentaire si le prix descendait au-dessous du prix le plus bas. En ce temps-là, puisque l’industrie lourde était développée pour l’expansion militaire et représentait la majorité de la valeur totale de la production industrielle, le gouvernement poursuivit une politique de réduction des disparités de productivité entre l’agriculture et l’industrie afin de parvenir à un approvisionnement alimentaire stable. Cela voulait dire maintenir un prix élevé du riz en faisant correspondre l’offre et la demande, mais cela suscitait la colère des commerçants. Ces lois ayant donné pour résultat une forte baisse du volume des transactions d’échanges de riz, la bourse des marchandises de riz à Tokyo (Tōkyō Beikokushōhin Torihikisho 東京米穀商品取引所) est devenue de fait obsolète dès 1939 et a été remplacée par une société anonyme semi-gouvernementale (Nihon Beikoku Kabushikigaisha 日本米穀株式会社) en guise d’alternative.
Les ventes de riz à terme ont été supprimées. L’exportation de riz à Taiwan, qui était un facteur de baisse des prix au Japon, a été gelée par le gouvernement. Le mécanisme de perception étant une autorité centralisée, le contrôle par le gouvernement a été renforcé par l’exécution du règlement des ventes de riz et le système de son rationnement. Les grossistes et les détaillants de riz étant autorisés par la réglementation et la pression syndicale, le contrôle par le gouvernement s’exerçait jusqu’à la distribution et la vente de riz. L’origine de ce système de contrôle du riz (système de contrôle du riz par le gouvernement) a réellement commencé avec la fondation de la société Beikoku Kabushikigaisha.
La loi Shokuryōkanrihō (食糧管理法) sur le contrôle des aliments jusqu’à son abolition
La loi sur le contrôle des aliments appelée Shokuryōkanrihō (食糧管理法) a été promulguée le 21 février 1942 et supprimée en 1995 lorsque la loi sur la législation alimentaire, Shokuryōhō (食糧法)Footnote 17 a été adoptée. Pour prouver l’importance du rôle de l’état, à partir de cette loi promulguée en 1942, on peut souligner la présence du mot gouvernement. Composée de 57 articles au total, l’article 1 précise «le but» de la loi et son article 2 en présente «la définition». Les articles qui suivent, de 3 à 5, traitent de l’achat du riz par le gouvernement, puis de son importation et de son exportation (le transport), de son stockage, de son échange. Le traitement du riz relève des articles 6 à 9, sa tarification et sa taxation des articles 10 à 13, et la société alimentaire centrale et la société alimentaire locale des articles 14 à 28). Diverses dispositions et la partie répressive (articles 29–43) complètent la loi, avec des dispositions complémentaires (articles 44–57).
L’article 1 stipule:
Cette loi a pour objectif que le riz et le blé, qui sont des aliments de base, jouent un rôle important; en plus, compte tenu du fait qu’ils occupent une position importante en tant que produits agricoles, nous visons à la stabilité de l’offre et de la demande et à un prix stable de l’aliment, par les mesures sur la distribution propre des producteurs de riz aux consommateurs, ainsi que par des mesures nationales globales pour les achats, l’importation et la vente d’aliments de base par le gouvernement; nous devons contribuer à la stabilité de la vie des gens et de l’économie dans l’intérêt national.
Au total, le mot «gouvernement» apparaît 38 fois, comme par exemple dans les articles concernant la société alimentaire centrale ou la société alimentaire locale:
政府ハ特ニ必要アリト認ムルトキハ (Lorsque le gouvernement admet qu’il est particulièrement nécessaire,);
政府之ヲ監督ス: (Le gouvernement veille.);
Il y a beaucoup de phrases qui commencent par le sujet «le gouvernement» (政府ハ) terminant à la fin avec le prédicat de «prescrit» (定ム), ou avec le complément «par les dispositions des Etats» (定ムルトコロ). Nous retrouvons ceci dans les articles 4, 5, 6, 7, 9, 10, 12, 20, c’est-à-dire 8 articles au total.
Avec cette loi, un prix officiel a été fixé, autre que celui de la valeur de marché déterminée pour la quantité d’orge non-noble, d’orge, de blé, mais aussi du riz. Le gouvernement faisait alors en sorte que les aliments soient fournis aux consommateurs sur la base du rationnement de riz. Il n’était pas permis de le distribuer d’une autre façon. Toutefois, en dépit du risque de punitions ou d’amendes, il y avait des marchés noirs.
Le riz et les aliments de base étaient ainsi contrôlés dans le pays, en assurant un approvisionnement stable. Le canal de distribution était limité, du producteur au gouvernement, et du gouvernement aux consommateurs. Le gouvernement obligeait les producteurs à lui vendre leur riz. Les vendeurs en gros et de détail étaient considérés comme des agents de la mise en œuvre d’un «système de distribution» équitable et efficace par le gouvernement.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’approvisionnement alimentaire a été réduit. En plus, à cause du mauvais temps, la production agricole s’est dégradée. En 1946, le gouvernement a donc décidé l’augmentation des prix du riz.
La situation des approvisionnements alimentaires était extrêmement grave, au point que les habitants ont manifesté au niveau national contre la famineFootnote 18 dans le parc Hibiya le 1er novembre 1945. Le 17 février 1946, pour faire face à cette situation, le gouvernement prit des mesures extraordinaires d’urgence alimentaire en promulguant une ordonnance sous la forme d’un édit d’urgence, qui exhortait à une hausse des prix du riz. Mais la grande majorité des agriculteurs éprouvait déjà de la méfiance envers le gouvernement. Dès lors, le 3 mars, alors que l’ordonnance sur le contrôle des prix du riz était promulguée, le niveau de vie des Japonais était extrêmement faible à cause de l’inflation. Le 19 mai, la protestation de la population eut lieu en face de la place du palais impérial; environ 25 millions de personnes, à l’initiative des membres des syndicats, manifestèrent contre la pénurie d’alimentation.Footnote 19
A la faveur d’une grande récolte en 1955, le taux d’autosuffisance en riz a atteint 100% et des excédents ont commencé à apparaître. A partir de 1969, la loi autorisait à ce que seulement le riz de haute qualité soit autorisé à la vente directe aux grossistes sans passer par le gouvernement. Par celle-ci, le prix du riz a en quelque sorte été libéralisé. Cependant, il a augmenté avec l’inflation et un marché noir est apparu. En conséquence, dans les années 1980, on estime qu’il y avait plus d’un milliard de yen de déficit dans le contrôle des aliments, soulignant que le système ne fonctionnait plus [4].
Le droit contemporain: Shokuryōhō (loi concernant la stabilité de l’offre et de la demande et le prix des aliments de base)
La loi sur le contrôle des aliments de 1942 a été supprimée à cause des deux événements suivants:
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(i)
L’émeute de 1993 pour protester contre le manque de riz. A cause d’un été froid, il y eut moins de riz produit, suscitant une critique sur la vulnérabilité du système de contrôle des aliments. Pour cette raison, le gouvernement apporta des améliorations à la loi, de manière à être en mesure de mieux réguler le système de vente du riz.
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(ii)
Les importations de riz. En 1995, suite à l’Uruguay RoundFootnote 20 sur l’agriculture, le riz a commencé à être importé de pays tels que les Etats-Unis (principalement pour l’aide à d’autres pays; il n’était pas utilisé pour la consommation au Japon).
Shokuryōhō (食糧法),Footnote 21 le droit actuel concernant la stabilité de l’offre et de la demande et le prix des aliments de base, se caractérise par le même souci de stabilité alimentaire que dans les mesures précédentes prises par les autorités japonaises. Ainsi, le 24 juin 1999, fut votée la loi sur la stabilité de l’offre et de la demande et le prix des aliments de base. Amendée en 2004, la loi sur le contrôle des aliments fut abolie, et la nouvelle législation sur la révision partielle de la loi concernant la stabilité de l’offre et de la demande et le prix des aliments de base (2004, loi n° 103) est entrée en vigueur. Avec cette loi, les gens peuvent désormais vendre le riz à n’importe qui et les agriculteurs peuvent le distribuer sans limitation de quantité.
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Chapitre 1, Dispositions générales (articles 1–3)
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Chapitre 2, Les mesures pour stabiliser l’offre et la demande et le prix du riz
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Section 1: Les lignes directrices de base (article 4)
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Section 2: Les mesures pour assurer une bonne distribution
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paragraphe 1: La politique d’ajustement de la production (article 5–7)
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paragraphe 2: Un mécanisme de soutien d’approvisionnement stable de riz (Articles 8–17)
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paragraphe 3: Centre de formation des prix du riz (articles 18–28)
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Section 3: Les achats et les ventes du gouvernement (articles 29–33)
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Section 4: Importation et exportation effectuées par une personne autre que le gouvernement (Articles 34–36)
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Section 5: Mesures d’urgence (Article 37–40)
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Chapitre 3: Mesures sur l’offre et la demande et le prix de blé et de l’autre aliment stable principal (Article 41–46)
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Chapitre 4: Dispositions diverses (Article 47–54)
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Chapitre 5: Pénalités (Article 55–62)
(a) il n’y a plus de différence entre le «riz de distribution planifiée» et le «riz de distribution non planifiée»:
Le riz est divisé en «riz de distribution planifiée» et en «riz de distribution non planifiée». Le «riz de distribution planifiée» est divisé en «riz pour le gouvernement» et en «riz de distribution volontaire».
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(i)
Le riz de distribution volontaire. Une mesure du prix a été déterminée au «centre de formation des prix volontaires de riz de distribution». Le riz est recueilli par les grossistes et est vendu par les supermarchés.
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(ii)
Le riz pour le gouvernement. Il s’appelle 備蓄 bichiku (stock, magasin). Il est le riz utilisé pour maintenir une certaine quantité de stocks en cas de catastrophe ou de guerre. Ce riz est également vendu dans les supermarchés après stockage en entrepôts pendant un an.
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(iii)
Le riz de distribution non planifiée. Les producteurs de riz peuvent vendre directement aux consommateurs. Ce riz ne peut être vendu dans les supermarchés.
Aujourd’hui, toutefois, le riz de distribution non planifiée peut être vendu dans les supermarchés. Des magasins traitant plus de 20 tonnes de riz par an peuvent vendre librement le riz. En outre, le riz de la distribution planifiée a également commencé à être vendu au JAFootnote 22 et par les agriculteurs.
(b) La politique de mise en réduction des champs de riz (réduction des surfaces de production) va être supprimée en 2018 (décision du 26 novembre 2013):
La politique de mise en réduction des champs de riz est une politique agricole datant de l’après-guerre au Japon pour ajuster et réguler la production de riz. Fondamentalement, le but de cette politique était de réduire la production de riz en contraignant les agriculteurs à une limitation de la superficie des terres rizicoles. Cependant, le 26 novembre 2013, le gouvernement a décidé d’abolir cette politique, avec une mise en application à partir de 2018.
(c) «Le centre de formation des prix du riz» qui était avant «le centre de formation des prix volontaires du riz de distribution» a été aboli le 31 mars 2011:
Auparavant, la limite du prix le plus bas était contrôlé afin de protéger les producteurs (les agriculteurs), mais maintenant il est décidé par le «prix du marché», par la concurrence. Le prix du riz est actuellement fixé par un indice de «la négociation relative» (la négociation relative est égale au prix fixé par l’équilibre de l’offre et de la demande, entre «les producteurs et les vendeurs»).
(d) Le système de notification pour les distributeurs:
Auparavant, le riz de distribution planifiée était géré à l’échelle de la préfecture et le prix était établi par le «centre de formation des prix de riz de distribution» pour que le riz soit vendu aux grands commerçants. Mais aujourd’hui, toute personne qui vend plus de 20 tonnes de riz et qui en a émis la notification (information sur la quantité de riz qui sera vendue) peut vendre librement son riz.
Loi sur la traçabilité du riz
La loi concernant l’enregistrement des informations relatives aux opérations du riz et à la transmission des renseignements sur l’origine (2009)Footnote 23 exige tout d’abord de nommer le produit cible:
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1.
Le riz; le riz brun; le riz blanchi, les brisures de riz.
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2.
Ceux qui correspondent à l’aliment principal: la farine de riz; des préparations à base de farine de riz (y compris la préparation de la poudre de riz); les gâteaux de riz; etc.
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3.
Le riz cuit: les diverses boîtes à lunch avec le riz; les différents types de boules de riz; les hamburgers de riz; le riz rouge avec des haricots rouges,; le riz cuit; le riz emballé; le riz brun germé; le riz cuit comme le riz sec cuit (y compris les aliments congelés, les aliments préparés en autocuiseur et la nourriture en conserve).
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4.
Les aliments transformés du riz: gâteaux de riz; boulettes; crackers de riz; saké distillé (焼酎 shochu, 味醂 mirin).
Mais il ne faut pas oublier que l’objectif principal est d’obliger les producteurs et les distributeurs d’enregistrer et de conserver les informations sur l’origine et la distribution du riz.
Il y a deux raisons de l’obligation décrite ci-dessous:
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(i)
Identifier facilement l’itinéraire de distribution au cas où un problème social serait découvert, comme l’usurpation d’identité de la localité d’origine du riz, etc.;
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(ii)
Fournir aux consommateurs des informations sur l’origine du riz, etc.
En cas d’incident alimentaire, afin d’identifier rapidement l’origine de la distribution, la loi sur la traçabilité du riz oblige toute personne qui produit ou distribue du riz à opérer un enregistrement de toutes les données. Elle oblige également les producteurs à enregistrer les renseignements d’origine du produit afin de pouvoir en faire mention sur les références des biens vendus, ce qui permet une information transparente des consommateurs au moment de l’achat.