Skip to main content
Log in

La traduction pour la recherche en sinologie : le cas des titres traduits dans Le Siècle des Youên

  • Published:
Neohelicon Aims and scope Submit manuscript

Abstract

Le titre traduit, malgré sa longueur modeste, s’avère comme un lieu de confrontation de différentes stratégies traductives et un révélateur des considérations académiques du traducteur. Dans le présent article, à la lumière de la théorie du skopos, nous avons pour objet d’étude les titres traduits des 100 pièces de théâtre incluses dans la célèbre anthologie littéraire Le Siècle des Youên compilée par Bazin aîné, éminent sinologue français du XIXe siècle. L’article se focalise dans un premier temps sur des aspects généraux des titres dramatiques dans notre corpus et les trois stratégies principales auxquelles le sinologue eut recours dans la traduction de ces titres : traduction littérale, modification partielle et adaptation. L’analyse quantitative prouve que le nombre des traductions infidèles dépasse celui des traductions littérales sous sa plume. Ensuite, nous essayons de démontrer que si Bazin aîné n’hésita pas à aller à l’encontre du littéralisme qui était pourtant dominant à son époque, c’est parce qu’il voulait faire correspondre les titres traduits aux enjeux de sa recherche en sinologie. Selon notre analyse, les titres traduits dans Le Siècle des Youên sont appelés à remplir à trois fonctions principales : la fonction civilisationnelle, la fonction intertextuelle et la fonction classificatoire.

This is a preview of subscription content, log in via an institution to check access.

Access this article

Price excludes VAT (USA)
Tax calculation will be finalised during checkout.

Instant access to the full article PDF.

Notes

  1. Antoine Pierre Louis Bazin est l’un des sinologues français les plus éminents au XIXe siècle. Il est le frère aîné de Pierre-Antoine-Ernest Bazin (1807–1878), célèbre dermatologue de son époque, d’où la nécessité de distinguer le sinologue de son frère par l’appellation « Bazin aîné » (Pino et Rabut 1995, p. 38).

  2. Pour mener ses analyses sur le théâtre chinois, Bazin aîné consulta principalement le fameux recueil chinois Yuanren baizhong qu (元人百種曲, « Cent pièces chantées sous les Yuan ») compilé par le dramaturge Zang Maoxun (臧懋循, 1550–1620). Il s’agit d’un recueil du genre zaju le plus complet et le plus influent qui soit parvenu jusqu’à nos jours. Pendant des siècles, ce recueil fut considéré « comme la seule source pour apprécier le théâtre des Yuan » (Falaschi 2015, p. XXXV). L’ouvrage fut acquis le père jésuite Joseph-Henri Marie de Prémare (1666–1736) qui résidait alors dans l’Empire du Milieu et envoyé par celui-ci à Paris en 1731. Désormais conservé à la Bibliothèque royale, ce recueil ne cessa de servir de référence pour les travaux de traduction théâtrale menés par des sinologues postérieurs.

  3. On fait remarquer que les pièces de théâtre sous la dynastie des Yuan étaient écrites par des lettrés exclus de l’administration centrale. Ne pouvant plus poursuivre leur carrière mandarinale sous les Mongols, ils devinrent dramaturges pour gagner leur vie. Ainsi, le genre dramatique fut pendant longtemps peu considéré dans la Chine médiévale (Pimpaneau, 2019, p. 675).

  4. Il faudrait rappeler que la traduction de la littérature en chinoise vulgaire en Europe débuta avec la parution de la Description géographique, historique, chronologique, politique et physique de l’Empire de la Chine et de la Tartarie (1735), monument considérable sur la Chine impériale. Le troisième volume de cet ouvrage inclut trois contes de morale traduits par le père jésuite François-Xavier d’Entrecolles et la pièce de théâtre Le Petit orphelin de la maison de Tchao traduite par Joseph de Prémare. Cependant, ce n’est qu’au cours des années 1820 que la littérature en chinois vulgaire commença à susciter un véritable intérêt parmi les sinologues français. Parurent à cette époque, comme on l’a fait remarquer dans la section précédente, des traductions des romans tels que Yu Jiao Li et des pièces de théâtre comme Huilan ji.

  5. On comptait 7 versions françaises complètes des pièces de théâtre chinoises à l’époque : Hoeï-lan-ki ou l’Histoire du cercle de craie (1832), Tchao-chi-kou-eul, ou l’Orphelin de la Chine (1834), Tchao-meï-hiang, ou les Intrigues d’une soubrette (1838), Ho-han-chan, ou la Tunique confrontée (1838), Ho-lang-tan, ou la Chanteuse (1838), Teou-ngo-youen, ou le Ressentiment de Teou-ngo (1838), Pi-pa-ki, ou l’Histoire du luth (1841).

  6. À constater que l’emploi de la formule « l’esclave qui garde de l’argent » pour désigner « l’avare » en chinois prend son origine dans des canons bouddhiques. Selon le concept bouddhique, l’homme qui succombe à l’appât du gain deviendra littéralement esclave lorsqu’il se réincarnera. Au fil du temps, la formule perd sa dimension religieuse pour s’employer au sens figuré tant à l’oral qu’à l’écrit. Il est encore plus intéressant de remarquer une heureuse coïncidence si l’on se permet une digression : dans la première version chinoise de L’Avare de Molière parue en 1914, son titre a été rendu par Shouqian nu (守錢奴, « L’esclave qui garde de l’argent ») dans le même but d’établir une relation intertextuelle avec la littérature chinoise (Voir Zhang, 2016, pp. 110-112).

  7. On fait remarquer que ce n’est qu’au début du XXe siècle que l’intelligentsia chinoise de la nouvelle génération commença à importer ces notions génériques d’Occident pour les appliquer tant à la critique littéraire qu’à la création théâtrale.

References

  • Baker, M. (2006). Translation and conflict: A narrative account. Routledge.

    Book  Google Scholar 

  • Bazin, A. (1835). Préface. In G. Z. Zheng, Tchao-Mei-Hiang ou les intrigues d’une soubrette, comédie en prose et en vers (traduit par Bazin Aîné) (pp. III–XVI). Imprimerie Royale.

  • Bazin, A. (1838). Théâtre chinois, ou choix de pièces de théâtre composées sous les empereurs mongols. Imprimerie Nationale.

    Google Scholar 

  • Bazin, A. (1850). Le Siècle des Youên, ou Tableau historique de la littérature chinoise, depuis l’avènement des empereurs mongols jusqu’à la restauration des Ming. Imprimerie Nationale.

    Google Scholar 

  • Berman, A. (1990). La Retraduction comme espace de la traduction. Palimpsestes, 4, 1–7.

    Article  Google Scholar 

  • Bokobza, S. (1986). Contribution à la titrologie romanesque : Variations sur le titre « Le Rouge et le Noir ». Librairie Droz.

    Google Scholar 

  • Delisle, J., Lee-Jahnke, H., et al. (1999). Terminologie de la traduction. John Benjamins Publishing Company.

    Book  Google Scholar 

  • Duchet, C. (1973). La Fille abandonnée et La Bête humaine, éléments de titrologie romanesque. Littérature, 12, 49–73.

    Article  Google Scholar 

  • Falaschi, I. (2015). Introduction. In Trois pièces du théâtre des Yuan (traduit par I. Falaschi) (pp. XI–CXX). Les Belles Lettres, 2015.

  • Genette, G. (1987). Seuils. Éditions du Seuil.

    Google Scholar 

  • Goethe, J. W. V., & Eckermann, J. P. (1998). Conversations of Goethe with Johann Peter Eckermann. Da Capo Press.

    Google Scholar 

  • Hoek, L.-H. (1981). La Marque du titre : Dispositifs sémiotiques d’une pratique textuelle. Mouton.

    Book  Google Scholar 

  • Ji, J. (2018). Zhaoshi gu’er [L’Orphelin de la famille Zhao]. In X. J. Gu (Ed.), Yuanren zaju xuan [Recueil de pièces de théâtre des Yuan] (pp. 218–244). Maison d’éditions de la littérature populaire.

    Google Scholar 

  • Ladmiral, J. (2014). Sourcier ou cibliste. Les Belles Lettres.

    Google Scholar 

  • Lanselle, R. (2015). Note 58. In S. F. Wang, Le Pavillon de l’ouest (traduit par R. Lanselle) (p. 25). Les Belles Lettres.

  • Lanselle, R. (2000). Zaju. In A. Lévy (Ed.), Dictionnaire de littérature chinoise (pp. 391–393). Presses Universitaires de France.

    Google Scholar 

  • Lanselle, R. (2018). Fayi zhongguo gudian xiaoshuo he xiqu zai faguo hanxue lishi shang de diwei [Place de la traduction française de romans et de pièces de théâtre dans l’histoire de la sinologie en France]. In S. Z. Huang (Ed.), Xiqu yu suwenxue yanjiu diwuji [Étude du théâtre et de la littérature populaire, vol 5] (pp. 1–25). Social Sciences Academic Press.

    Google Scholar 

  • Li, S. (2015). Zhongguo xiqu zai faguo de fanyi yu jieshou (1789–1870) [La Traduction et la réception du théâtre chinois en France (1789–1870)]. Peking University Press.

    Google Scholar 

  • Luo, X. (2021). Hongloumeng yiming zhikao huwenxing de shijiao [Étude du titre traduit du Rêve dans le pavillon rouge sous une perspective de l’intertextualité]. Zhongguo Fanyi [Traduction Chinoise], 6, 111–117.

    Google Scholar 

  • Malingret, L., et al. (1998). Les Titres en traduction. In T. Garcia-Sabell, D. Olivares, & A. Boileve-Guerlet (Eds.), Les Chemins du texte : Tomo II (pp. 396–407). Universidade de Santiago de Compostela.

    Google Scholar 

  • Naudet, J. (1833). Théâtre de Plaute, traduction nouvelle accompagnée de notes (Vol. 2). Panckoucke.

    Google Scholar 

  • Niziolek, M. (2011). Traductions des titres des romans de Georges Simenon du français vers le polonais. Synergies Tunisie, 3, 169–181.

    Google Scholar 

  • Nord, C. (1995). Text-functions in translation : Titles and headings as a case in point. Target, 7(2), 261–284.

    Article  Google Scholar 

  • Nord, C. (2018). Translating as a purposeful activity: Functionalist approaches explained. Routledge.

    Google Scholar 

  • Pimpaneau, J. (2019). Anthologie de la littérature chinoise classique. Éditions Picquier.

    Google Scholar 

  • Pino, A. (2008). Bazin Antoine-Pierre-Louis. In F. Pouillon (Ed.), Dictionnaire des orientalistes de langue française (pp. 65–66). Karthala Editions.

    Google Scholar 

  • Pino, A., & Rabut, I. (1995). Bazin aîné et la création de la chaire de chinois vulgaire à l’École des langues orientales. In M.-C. Bergère & A. Pino (Eds.), Un siècle d’enseignement du chinois à l’École des langues orientales (1840–1945) (pp. 29–52). L’Asiathèque.

    Google Scholar 

  • Poizat-Xie, H., & Zhang, Y. (2017). À la recherche d’un titre littéraire idéalement traduit : le cas du chinois vers le français. Meta : Journal Des Traducteurs, 62(2), 368–395.

    Article  Google Scholar 

  • Postel, P. (2013). Les Traductions des romans de mœurs chinois classiques en français. Impressions d’Extrême-Orient. Consulté le 19 oct. 2020, https://journals.openedition.org/ideo/241.

  • Reiß, K., & Vermeer, H.-J. (2014). Towards a general theory of translational action: Skopos theory explained (traduit par C. Nord & M. Dudenhöfer). Routledge.

    Book  Google Scholar 

  • Roy, M. (2008). Du titre littéraire et de ses effets de lecture. Protée, 36(3), 47–56.

    Article  MathSciNet  Google Scholar 

  • Schäffner, C. (2010). Functionalist approaches. In M. Baker & G. Saldanha (Eds.), Routeledge encyclopedia of translation studies (pp. 115–121). Shanghai Foreign Language Education Press.

    Google Scholar 

  • Tang, J. (2016). Hongloumeng biaoti yiyi yanjiu lou yixiang de silafu yu chuandi [Étude de la traduction du titre du Rêve dans le pavillon rouge : la transmission de l’image de « pavillon » dans les langues slaves]. Zhongguo Wenhua Yanjiu [Études de la culture chinoise], 4, 137–148.

    Google Scholar 

  • Xu, F. M. (2014). Yuandai zaju yishu [L’Art du zaju sous la dynastie des Yuan]. Shanghai Classics Publishing House.

    Google Scholar 

  • Yu, J. H. (2008). Wenxue zuopin biaoti de fanyi: Tezheng yu wuqu [La traduction des titres littéraires: Caractéristiques et malentendus]. Waiguoyu [Langues étrangères], 31(1), 68–74.

    Google Scholar 

  • Zhang, Q. (2016). Molière en Chine—Étude de l’histoire de la traduction et de l’adaptation de ses pièces de théâtre. Université des études internationales de Shanghai, Université Paris Diderot.

    Google Scholar 

  • Zhou, L. (2016). Zhongguo dangdai wenxue zuopin de biaoti fayi yanjiu : fangfa yu fengge [Étude de la traduction française des titres des œuvres chinoises contemporaines : méthode et style]. Faguo Yanjiu [Étude de la France], 3, 92–100.

    Google Scholar 

Download references

Acknowledgements

Cette recherche est financée par National Social Science Fund of China (N°18CWW019). Nous tenons à adresser nos remerciements au docteur Christophe Decoudun pour sa relecture.

Author information

Authors and Affiliations

Authors

Corresponding author

Correspondence to Qiang Zhang.

Additional information

Publisher's Note

Springer Nature remains neutral with regard to jurisdictional claims in published maps and institutional affiliations.

Rights and permissions

Springer Nature or its licensor (e.g. a society or other partner) holds exclusive rights to this article under a publishing agreement with the author(s) or other rightsholder(s); author self-archiving of the accepted manuscript version of this article is solely governed by the terms of such publishing agreement and applicable law.

Reprints and permissions

About this article

Check for updates. Verify currency and authenticity via CrossMark

Cite this article

Zhang, Q., Ding, Y. La traduction pour la recherche en sinologie : le cas des titres traduits dans Le Siècle des Youên. Neohelicon 50, 705–721 (2023). https://doi.org/10.1007/s11059-023-00684-y

Download citation

  • Accepted:

  • Published:

  • Issue Date:

  • DOI: https://doi.org/10.1007/s11059-023-00684-y

Keywords

Navigation