Résumé
Au début des années 1930, l’épistémologie, l’histoire et l’histoire des sciences ont eu une influence réciproque importante mais indirecte. Tant les philosophes que les historiens mettaient en jeu des concepts épistémologiques issus de la crise des sciences exactes et rejetaient l’empirisme et l’idéalisme au nom d’un rationalisme expérimental qui mettait en relation théorie et expérience. Il en résultait une conception dialectique de la science, essentiellement historique mais à propos de laquelle les historiens étaient encore timides du point de vue théorique. Désormais l’histoire était pourtant au cœur des réflexions philosophiques et épistémologiques.
Abstract
During the 1930’s epistemology, history and history of science reciprocally and importantly influenced each other, even if indirectly. Philosophers and historians discussed the epistemological concepts emerging from the crisis of the exact sciences. They rejected Empirism and Idealism for an «experimental Rationalism» that connected theory and experience. It all caused a dialectical conception of science, fundamentally historical, but for which historians were still reluctant from a theoretical point of view. History was nevertheless the centre of philosophical and epistemological reflexions.
Zusammenfassung
Um 1930 haben Epistemologie, Geschichte und Wissenschaftsgeschichte einen wichtigen, wenn auch nur indirekten Einfluß aufeinander ausgeübt. Sowohl Philosophen als auch Historiker haben über die epistemologischen Begriffe diskutiert, die aus der Krise der exakten Wissenschaften hervorgegangen waren. Sie haben Empirismus und Idealismus zugunsten eines experimentellen Rationalismus verworfen, bei dem Theorie und Erfahrung zusammengeführt wurden. Obwohl die dialektische Konzeption von Wissenschaft, die sich daraus ergab, in wesentlichen Punkten historisch war, waren die Historiker in der theoretischen Diskussion diesbezüglich eher zurückhaltend. Das änderte jedoch nichts daran, daß die Geschichte im Mittelpunkt der epistemologischen und philosophischen Überlegungen stand.
Sommario
All’inizio degli anni 1930 l’epistemologia, la storia e la storia delle scienze hanno avuto un’importante, benché indiretta, influenza reciproca. Tanto i filosofi che gli storici mettevano in gioco i concetti epistemologici emersi dalla crisi delle scienze esatte e respingevano l’empirismo e l’idealismo in nome di un razionalismo sperimentale che faceva interagire teoria ed esperienza. Ne risultava una concezione dialettica della scienza, fondamentalmente storica, nei confronti della quale tuttavia gli storici erano ancora timidi sul piano della teoria. Invece la storia era ormai al cuore delle riflessioni epistemologiche e filosofiche.
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Bibliographie
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Pour un approfondissement critique de la considération dans laquelle les philosophes tenaient l’histoire, tout en ignorant les efforts innovateurs internes à la discipline, voirE. Castelli Gattinara, «Crise de la raison et pensée de l’ouverture», thèse de doctorat, dactyl., Paris, École des hautes études en sciences sociales, 1992, etId., E. Castelli Gattinara,Epistemologia e storia, Milan, Franco Angeli, 1996, chap.ii.
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Pour ce que j’en sais, seul G. Massicotte a essayé de trier les implications épistémologiques des œuvres de L. Febvre,in GuyMassicotte,L’Histoire-problème, Saint-Hyacinte-Paris, Edisem, 1981.
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EnricoCastelli Gattinara, né en 1959, directeur de la revue italienneAperture. Punti di vista a tema, est maître de conférences associé à l’École des hautes études en sciences sociales, Paris. Spécialiste de la philosophie et de l’épistémologie françaises duxx e siècle, il a publiéEpistemologia e storia (Milan, Franco Angeli, 1996) etLes Inquiétudes de la raison (Paris, Vrin/EHESS, 1998).
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Castelli Gattinara, E. Épistémologie, histoire et histoire des sciences dans les années 1930. Rev synth 119, 9–36 (1998). https://doi.org/10.1007/BF03181368
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DOI: https://doi.org/10.1007/BF03181368