Résumé
La théorie politique est longtemps restée attachée au dogme selon lequel la république ne peut convenir qu’à de petits États, où la faible différenciation des conditions sociales autorise la formation d’un authentique intérêt commun. Montesquieu adopte une version de cet argument en soutenant que la politique moderne doit être non la recherche de l’intérêt commun, mais l’art de balancer les intérêts les uns contre les autres. Madison a répondu en montrant comment, au contraire, la république n’est possible que dans les grands États, où la diversité des intérêts en présence les contraint à rechercher non pas un compromis — impossible à maintenir quand il faut unir un grand nombre d’intérêts distincts pour former une majorité — mais un dépassement de leurs particularités respectives au profit d’un authentique intérêt commun.
Abstract
Political theory has been for long committed to the idea that a republic is possible only in small states, where the diversity of interests is reduced to the point where it makes possible the formation of a genuine common interest. Montesquieu adheres to this thesis when he says that, far from looking for this chimerical common interest, modern politics must be an art of balancing particular interests. Madison answered this argument by showing how, on the contrary, a republic is possible in large states only; in such states, the variety of extant interests constrains each of them to look not for a compromise — which is impossible to find where the interests in play are so widely apart from each other — but for a genuine common interest transcending all particularities.
Zusammenfassung
Die politische Theorie hat lange an der Vorstellung festgehalten, daß die republikanische Staatsform nur in kleinen Staaten möglich ist, in denen eine geringe Differenzierung der sozialen Bedingungen die Entstehung eines genuinen gemeinsamen Interesses möglich macht. Auch Montesquieu macht sich dieses Argument zueigen, wenn er erklärt, es sei nicht Aufgabe der modernen Politik, danach zu fragen, wie jenes angebliche gemeinsame Interesse beschaffen ist, sondern sie müsse darauf bedacht sein, zwischen den verschiedenen Interessen auszugleichen. Madison führte dagegen den Nachweis, daß die republikanische Staatsform nur in großen Staaten möglich ist. In solchen Staaten gehen die einzelnen Interessen so weit auseinander, daß es unmöglich ist, Kompromisse zu finden. Statt dessen ist die Politik dort genötigt, ein gemeinsames Interesse zu finden, das über alle Partikularinteressen hinausgeht.
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Bibliographie
QuentinSkinner, «The republican idea of political liberty», inMachiavelli and republicanism, éd. GiselaBock, QuentinSkinner, Maurizioviroli, Cambridge, Cambridge University Press, 1990; cf. PhilipPettit, «Liberalism and republicanism»,Australian Journal of political science, no spécial, vol. 28, 1993, p. 162–189.
Cf. Moses I.Finley,Démocratie antique et démocratie moderne, Paris, Payot, 1976; BernardManin,Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995, p. 208sq.
Cf.P. Pettit,art. cit. supra n. 1 «.
Montesquieu,De l’esprit des lois, Genève, 1748, liv. VIII, chap.xvi (cité par la suite commeEL, les livres seront cités en chiffres romains et les chapitres en chiffres arabes).
Cf. Samuel H.Beer,To make a Nation. The rediscovery of American federalism, Harvard, Harvard University Press, 1993, p. 219sq.
Cf. Thomas L.Pangle,Montesquieu’s philosophy of liberalism, Chicago, Chicago University Press, 1973, p. 123–125.
EL, XI, 6.
EL, XI, 6.
EL, II, 2.
EL, III, 7.
C’est aussi l’opinion de David Hume; cf. «Of the independency of Parliament» et «Whether the British government inclines more to absolute monarchy or to a republic», inEssays, moral, political and literary, Indianapolis, Liberty Fund, 1985, p. 42–53.
EL, V, 14.
Cf. Maurizioviroli,From politics to reason of State. The acquisition and transformation of the language of politics, 1250–1600, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
EL, XI, 6: «Harrington, dans sonOceana, a aussi examiné quel était le plus haut point de liberté où la constitution d’un État peut être portée. Mais on peut dire de lui qu’il n’a cherché cette liberté qu’après l’avoir méconnue, et qu’il a bâti Chalcédoine, ayant le rivage de Byzance devant les yeux.»
Machiavel,Discours sur la première décade de Tite-Live, 1532, Paris, Flammarion («Champs»), 1985, liv. I, chaplviii.
Ibid.,
Ibid..
Rousseau notera de la même manière qu’il y a cette différence entre les erreurs du peuple et celles des princes que les premières tournent toujours au préjudice de ceux qui les commettent, au lieu que les secondes tournent non pas au préjudice du prince qui s’en rend responsable mais à celui de son peuple; voirRousseau,Lettres écrites de la Montagne, 1764, lettre IX, inŒuvres complètes, t. III, Paris, Gallimard («Bibliothèque de la Pléiade»), 1964, p. 891.
JamesHarrington,Océana, Préliminaires, éd. John Greville AgardPocock, trad. franç., Paris, Belin, 1995, p. 244.
AlexanderHamilton, JohnJay, JamesMadison,Le Fédéraliste, trad. franç., Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1957.
Cf. HerbertStoring, «What the antifederalists were for?», inThe Complete Anti-Federalist, 7 vol., Chicago, Chicago University Press, 1981, vol. 1.
Cf. Gordon S.Wood,La Création de la république américaine: 1776–1787, trad. franç., Paris, Belin, 1991.
J. Madison,Le Fédéraliste,op. cit. supra n. 20, no 10, p. 67.
Cf. JenniferNedelsky,Private Property and the limits of American constitutionalism. The Madisonian framework and its legacy, Chicago, Chicago University Press, 1990, p. 165–166.
J. Madison,op. cit. supra n. 23, p. 68.
Ibid., p. 68–69.
Cf. BernardBailyn,Faces of Revolution, personalities and themes in the struggle for American independance, New York, Belknap Press, 1990, p. 258–259.
L’influence de Milton est ici clairement décelable; cf. JohnMilton,Areopagitica. A speech for the liberty of unlicensed printing to the parliament of England, Londres, 1644.
J. Madison,op. cit. supra n. 23, p. 69: «L’intérêt de l’agriculture, l’intérêt des manufactures, l’intérêt du commerce, l’intérêt des capitalistes, et d’autres intérêts moins importants, se forment nécessairement dans les nations civilisées et les divisent en différentes classes qui agissent d’après des vues et des sentiments différents.
Ibid..
J. Nedelsky,op. cit. supra n. 24, p. 158.
J. Madison,Le Fédéraliste,op. cit. supra n. 20,, no 51, p. 431: «Dans une société où la faction la plus puissante peut aisément se réunir et opprimer la plus faible, on peut dire que l’anarchie règne aussi bien que dans l’état de nature, où l’individu le plus faible n’est pas à l’abri de la violence du plus fort.»
Id.,Ibid.,, no 10, p. 75: «Dans une république, il y a un nombre plus grand de citoyens et un territoire plus vaste que dans un gouvernement démocratique; et c’est particulièrement cette circonstance qui rend les plans des factieux moins redoutables dans la république que dans la démocratie.
Ibid.. p. 71.
Ibid..
Ibid..
Ibid., p. 76.
Ibid.. p. 72.
Cf. BruceAckerman,We the people. 1:Foundations, Harvard, Harvard University Press, 1991.
J. Madison,op. cit. supra n. 32,, p. 432: «Il existe nécessairement des intérêts divers dans les différentes classes de citoyens.
Ibid., p. 433.
Machiavel,op. cit. supra n. 15,, III, 28.
Cf. Drew R.McCoy,The Last of the fathers. James Madison and the republican legacy, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 58, 88, 128; cf., également, StephenHolmes,Passions and constraints. On the theory of liberal democracy, Chicago, Chicago University Press, 1995, p. 29, 272; tout le livre de Holmes est consacré à l’idée que le pouvoir libéral et démocratique de l’époque moderne ne doit sa réalité qu’à sa propres limitation; c’est donc parce que les passions y sont contenues que la démocratie peut être un régime viable.
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Jean-FabienSpitz, né en 1952, ancien élève de l’École normale supérieure, enseigne la philosophie politique à l’université de Caen. Il a récemment publiéLa Liberté politique. Essai de généalogie conceptuelle, Paris, Presses universitaires de France («Léviathan»), 1995.
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Spitz, JF. République et démocratie de Montesquieu à Madison. Rev synth 118, 259–283 (1997). https://doi.org/10.1007/BF03181352
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DOI: https://doi.org/10.1007/BF03181352