Résumé
Nouvelle approche, nouvel objet, l’histoire des femmes en France n’a pas encore conquis la place qui lui revient. Catégorie mal identifiée, elle reste en marge de l’autre histoire. Elle le restera, à moins que soit restituée l’historicité des tensions entre hommes et femmes, jusqu’alors tenues à l’écart de l’histoire politique, elle-même pensée hors des rapports de pouvoir. C’est tout un renouvellement de l’écriture de l’histoire dont il est question. Le concept degender, comme outil d’analyse toujours nécessaire, n’y peut suffire. L’enjeu se situe entre l’histoire continue et les discontinuités historiques qui surgissent dans ses failles; entre les individues représentatives, objets de représentation et les subjets critiques à l’encontre de la représentation comme forme de pouvoir.
Abstract
The history of women in France has not yet achieved the recognition it deserves. As a category, it is ill identified and remains on the margins of the «other» history. The history of women will remain bordeline unless we reinstate the historicity of the tensions inherent in gender relations, which up to now have been excluded as an object of study in the field of political history, which itself has been conceptualized outside the framework of power relations. A complete renewal of the way in which history is written is thus crucial. What is at stake lies between a linear, continuous history and the historical discontinuities that emerge in its gaps; between representative female individuals, as objects of representation, and the critical subjects who strain against representation as a form of power.
Zusammenfassung
Die Geschichte der Frauen, bei der ein neues Thema mit neuen Forschungsansätzen bearbeitet wird, nimmt in der französischen Geschichtsschreibung noch nicht den gebührenden Platz ein. Um das zu ändern, muß die Geschichtlichkeit der Spannungen zwischen Männern und Frauen bewußt gemacht werden, die bisher in der politischen Geschichte keine Rolle spielte, da man sie nicht mit politischen Machtkämpfen in Verbindung brachte. Daher muß die gesamte Geschichtsschreibung neu konzipiert werden. Trotz seiner Notwendigkeit als Instrument der Analyse reicht der Begriffgender dazu nicht aus.
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Références
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Or l’histoire ne pourra jamais devenir science dans la mesure où la restitution du passé ne peut être que fragmentaire, toujours liée à la subjectivité du chercheur et, surtout, comme le souligne PaulVeyne, inComment on écrit l’histoire. Essai d’épistémologie, Paris, Seuil, 1971, p. 206: «Le nombre de descriptions possibles d’un même événement est infini.» Renforcée par l’histoire quantitative, l’idée de scientificité est en fait une survivance du positivisme; survivance d’un mythe énoncé par AugusteComte, inCatéchisme positiviste, Paris, oct. 1852, p. VI, qui cherchait à élaborer la «théorie systématique de l’ordre humain». Par commodité ou par volonté d’objectivité, aujourd’hui le mot est substitué tout simplement à la nécessaire rigueur de la recherche. Voir, à ce propos,M. Riot-Sarcey, «De l’histoire politique et des pouvoirs, du positivisme à Michel Foucault», inFéminismes au présent, dir.M. Riot-Sarcey, Paris, L’Harmattan, 1993.
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Dans mon ouvrage,op. cit. supra n. 1 DominiqueGodineau,Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française, Paris, Alinéa, 1988. c’est précisément «l’ obstacle» que j’ai tenté de débuscquer.
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Cité parC. Bard,Les Filles de Marianne, thèse de doctorat, Paris VII, 1994, p. 387 du manuscrit.
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On pourrait dater cette évolution épistémologique de FerdinandDe Saussure,Cours de linguistique générale, 1906–1911, Genève, 1915, 5e éd. Paris, Payot, 1962; il parle «d’arbitraire du signe» et met en évidence le fait que la langue est un système de valeurs.
La question du pouvoir «comme mode d’action» est au coeur de l’oeuvre de Foucault, les recherches féministes s’en sont largement inspirée, tout particulièrement de «l’analyse des relations de pouvoir à travers l’affrontement des stratégies»: voirM. Foucault, «Deux essais sur le sujet et le pouvoir»,in HubertDreyfus, PaulRabinow,Michel Foucault. Un parcours philosophique, Paris, Gallimard, 1984, p. 301. Pour ne citer qu’un titre parmi des centaines d’ouvrages, retenons JoanWallach Scott,Gender and the Politics of history, New York, Columbia University Press, 1988. À Jacques Derrida, les chercheuses ont emprunté l’idée de «déconstruction», plus encore la critique du «phallogocentrisme», l’idée que la «différence des sexes n’est pas dans l’ordre du lisible, du définissable, mais dans l’ordre du lisible c’est-à-dire de l’interprétation», voir FrançoiseCollin, «Différence et différend. La question des femmes en philosophie»,Histoire des femmes,, vol. 5, p. 261. Sur l’influence de M. Foucault et de J. Derrida, voir, en part., AvaBaron, «Gender and labor history: learning from the past, looking to the future»,Work and Gendered toward new history of American labor, Ithaca, Cornell University Press, 1991, p. 1–46; GabrielleSpiegel, «History, historicism and social logic of texts in the middle age»,Speculum, t. 65, 1990.
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Voir l’article de Joan W.Scott, inGender and the Politics of history, New York, Columbia University Press, 1988, repr. et trad. sous le titre «Genre: une catégorie utile d’analyse historique»,Les Cahiers du GRIF, no spécial «Le genre de l’histoire»,37–38, juin 1988. Pour une critique approfondie, voir EleniVarikas, «Genre, expérience et subjectivité, à propos du désaccord Tilly-Scott»,Passato e Presente, ax,26, 1991.
E. Varikas,art. cit. supra n. 50 «Genre, expérience et subjectivité, à propos du désaccord Tilly-Scott»,Passato e Presente, ax,26, 1991.
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MichèleRiot-Sarcey est maître de conférences en histoire à l’université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis. Elle est spécialiste d’histoire politique et sociale auxix e siècle et prépare un ouvrage sur l’utopie auxix e siècle.
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Riot-Sarcey, M. La Place des femmes dans l’histoire ou les enjeux d’une écriture. Rev synth 118, 107–128 (1997). https://doi.org/10.1007/BF03181339
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DOI: https://doi.org/10.1007/BF03181339