Résumé
Le manuscrit clandestin est de par sa nature même un texte ouvert. Il l’est certainement dans ce sens, qu’il reste matériellement susceptible de toutes sortes de manipulations, l’impression ne l’ayant pas définitivement fixé. Etant d’ailleurs en général anonyme, il peut être perçu comme un bien commun que chacun se croirait en droit de modifier à sa façon pour mieux servir à la diffusion des lumières. Et cela d’autant plus légitimement que l’on sait souvent à l’époque l’original même savamment fabriqué avec des passages pillés dans des sources différentes. Rien d’étonnant donc si cette manipulation est devenue une pratique habituelle des milieux où s’affairaient tous ceux qui cherchaient à divulguer cette littérature clandestine. Tels qu’ils ont été finalement édités, parfois dans le siècle, et connus du grand public, ces ouvrages ont pris forme progressivement. Quelquefois d’ailleurs les mains qui ont successivement trafiqué le texte n’avaient certainement pas les qualités requises par cette délicate chirurgie—ce qui fait à l’occasion grincer ses rouages. Le Traité des trois imposteurs, l’un des plus anciens et sans doute le plus connu des ouvrages philosophiques clandestins, illustre de manière exemplaire cette technique particulière de manipulation. allons essayer de refaire l’histoire du texte à l’aide des copies localisées et des témoignages de l’époque1.
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Références
Les manuscrits de ‘s-Gravenhage et de Leiden ne portent pas de titre. Dans la page de garde de la copie de Leiden, d’une main différente de celle du copiste, on lit: «ecriture de Etienne Luzac ». E. Luzac (1706–1787) était frère de Jean Luzac, éditeur à Leyde. Arminien convaincu, il a été rédacteur de la Gazette de Leyde de 1729 à 1783.
Dans un exemplaire du De tribus impostoribus existant à la bibliothèque universitaire de Kiel (K.B. 85), une note tardive d’un lecteur signale: «In einem Catalog von Büchern, welche in Kiel den 14. Mai 1790. verkauft sind, wird pag. 99. n. 7. aufgefässet: Dissertations Theol. moral.,& politiques sur les trois fameux Imposteurs. Mnst in 40».
Voir B. E. Schwarzbach et A. W. Fairbairn, « Sur les rapports entre les éditions du Traité des trois imposteurs et la tradition manuscrite de cet ouvrage », Nouvelles de la république des lettres vii (1987), III-136; E Charles-Daubert, « L’Image de Spinoza dans la littérature clandestine et l’Esprit de Spinoza», dans 0. Bloch (éd.), Spinoza au XVIII’ siècle, Méridiens—Klincksieck, Paris, 199o, PP. 52–74. Je me suis occupé de ce sujet dans « Las abejas alquimistas: la evolución del Traité des trois imposteurs», communication faite au colloque Perspectivas actuales de la investigacién sobre et siglo XVIII (Ségovie, 18–22 avril 1988 ).
B. E. Schwarzbach et A. W. Fairbairn (art. cit., p. 115) estiment que l’auteur du traité a utilisé la traduction faite par Saint-Glain du Tractatus theologico-politicus,parue en 1678, en raison de l’indiscutable coïncidence que l’on trouve dans certains passages (6e réflexion de la section I et note ajoutée à la 11e réflexion dans la section II). Il nous semble cependant que cette correspondance pourrait s’expliquer par la littéralité des traductions. Le fait mis à part qu’elle se dément dans le contexte même de la description de l’image contradictoire que les prophètes nous ont transmise de Dieu, qui fait l’objet du premier endroit cité, l’emploi de mots différents là même où elle semble le mieux assurée (« résolution» pour « décret » dans le premier cas, Traité des cérémonies superstitieuses des juifs,p. 63; «concilier» pour «expliquer», «oteroient» pour «« exclûroient », ibidem,pp. 62 et 311, dans le deuxième cas) ferait soupçonner plutôt que notre compilateur traduit lui-même Spinoza.
Voir plus loin.
Le titre complet est De tribus impostoribus liber. Composé l’an 123o par Pierre Desvignes secrétaire
La section « De Dieu » de l’original, divisée en deux chapitres, est la section première de l’Introduction; les sections sur l’Être invisible et sur les religions deviennent ici les différents chapitres d’une seule section. Le traité est à son tour divisé en cinq chapitres. La division du texte en paragraphes semble avoir été faite après coup. L’auteur de ce remaniement a d’ailleurs éliminé certains développements sur la naissance des religions. Il les juge sans doute trop prolixes et somme toute superflus—en quoi il montre qu’il n’arrive pas à vraiment comprendre l’économie du traité.
Seule reste la partie de la page (f. 102) comportant ce titre; le reste a été déchiré.
Simultanément, les sous-titres introduisant chaque législateur dans la primitive section III et soulignant dans la vie de Jésus-Christ les différents sujets abordés se confondent progressivement, du fait sans doute de l’insouciance des copistes, avec les titres des sections elles-mêmes (Châlonssur-Marne—BM zoo, Oldenburg—LB Cim. 1 26o). Ce processus culminera dans une nouvelle distribution de l’ouvrage en treize chapitres (Oldenburg—LB Cim. 1 258), les deux dernières « réflexions » de la deuxième section devenant le chapitre III.,« Ce que c’est que Dieu».
La copie décrite dans le recueil Rouen—BM 0 57 sous le titre «Pensées tirées d’un manuscrit françois traduit (à ce qu’il y est dit) du latin du livre De tribus impostoribus » devait être identique à Oldenburg—LB Cim. 1 258, où le traité est d’ailleurs intitulé dans la page de titre De tribus impostoribus: Versio gallica. L’extrait compte quatorze chapitres, au lieu des treize de la copie d’Oldenburg, tout simplement parce que celui qui l’a fait a oublié de citer un chapitre cinquième dans la numérotation.
Dans Reims—BM 651, le copiste donne sous un titre erroné, «Réponse à la dissertation de Mr de la Monnoye sur le livre De tribus impostoribus»,le début de la «Dissertation sur le livre des trois imposteurs » et renvoie pour la suite au Dictionnaire critique de P. Marchand. Il a pourtant enlevé la lettre de Frédéric à Othon. A cette date tardive, il ne croit sans doute plus à la fiction. Le traité est ici divisé en six chapitres.
La section «De l’âme » ne comprend que le septième et dernier paragraphe, où il est question de la doctrine de l’âme du monde. Il est accompagné d’une «Note et remarque» ajoutée par le copiste.
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Benítez, M. (1996). Une Histoire interminable: origines et développement du Traité des trois imposteurs . In: Berti, S., Charles-Daubert, F., Popkin, R.H. (eds) Heterodoxy, Spinozism, and Free Thought in Early-Eighteenth-Century Europe. International Archives of the History of Ideas / Archives Internationales d’Histoire des Idées, vol 148. Springer, Dordrecht. https://doi.org/10.1007/978-94-015-8735-8_2
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