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Les figures de l’ordre juridique dans les relations entre le droit et son environnement

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International Journal for the Semiotics of Law - Revue internationale de Sémiotique juridique Aims and scope Submit manuscript

Résumé

La question posée est celle des interfaces entre le système juridique et la société. Le contexte social du droit n’est pas pris ici comme surdéterminant, le droit se développant de manière autoréférentielle, dans une mesure, certes limitée, limites qu’il convient précisément d’analyser. Il y a entre le système social et le système juridique une circulation constante d’informations, qui passent par ce que nous appelons les figures juridiques. Celles-ci—le législateur, le juge ou le sujet de droit—sont en situation de choisir dans le contexte social ce qu’elles décident d’y prendre pour lui donner statut de norme. En cela, la figure juridique fait acte politique: elle ne prend pas le contexte auquel elle fait face comme un donné «naturel» qui s’imposerait à elle univoquement, mais elle choisit dans la complexité de ce contexte ce qui lui semble correspondre à l’univers juridique auquel elle appartient. Cela est possible de par sa position même dans chacun des deux univers—c’est sa véritable situation—d’un côté comme fonction juridique et de l’autre, mais en même temps, comme acteur social: elle a à dire ce qui peut passer de l’un à l’autre, elle ne répète pas ce que l’un ou l’autre dit; elle se trouve en situation parce qu’elle est le lieu de passage entre deux mondes non concomitants dans leur existence propre, mais entre lesquels elle a à faire correspondre un discours qui donne et prenne sens.

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Notes

  1. Nous avons renoncé à munir ce texte d'un appareil critique détaillé, le sujet traité ici s'inscrivant dans le contexte théorique qui est exposé dans Moor [16] et [17]; on y trouvera une bibliographie plus complète.

  2. Mis à part Perelman [21 et 22], mais de manière plus systématique, Müller est le premier, dans sa théorie structurante du droit, à mettre en lumière la dynamique de la production des normes comme praxis—[19], spécialement p. 43, 190, 193, 227 s. (1ère édition allemande, 1976). La description du travail du juge par Latour [13] est, en ce sens, un apport indispensable à la théorie du droit.

  3. Pour un développement de ces différents concepts de sémiotique, cf. notamment Klinkenberg [ 12 ].

  4. En sémiotique, l’emploi des barres obliques (//) entourant un signe sert à identifier le signifiant, les guillemets ("") le signifié.

  5. On sait qu’on pourrait certes imaginer un système formalisé autrement que par le recours au lexique et à la syntaxe de la langue ordinaire—des tentatives ont été esquissées; mais, dans l’abstraction à laquelle la formalisation les contraint, elles laissent de côté la phase de l’application concrète du droit, c’est-à-dire de sa praxis (cf. ci-dessous note 22).

  6. Cf. la définition—désormais classique—que la Cour européenne des droits de l’homme donne de la loi: «[…] on ne peut considérer comme une loi qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite; en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé» (Affaire Sunday Times c. Royaume-Uni [no 1]—, Série A, 26.4.1979, vol. 30, § 49; jurisprudence constante, cf. Affaire Centro Europa 7 c. Italie, Requête 38433/09, § 141).

  7. Cf. pour un plus ample développement, Moor [17], p. 209 ss.

  8. Textes normatifs: tous les textes qui sont émis selon les règles de compétence et de procédure du code lui-même et qui, de ce fait, lui appartiennent en propre: conventions, constitution, lois, règlements, et aussi la jurisprudence (mais ce point doit être différencié; cf. Moor [ 17 ], p. 182, 306, 316): c’est ce qu’on appelle l’autoréférentialité de l’ordre juridique et son autopoïèse—cf. notamment, sur ces concepts, Luhmann [14], p. 355 ss, et [15], p. 53 ss; Teubner [26], p. 30 ss, 44 ss; et, à leur suite, Moor [17], p. 202 ss.

  9. Sur le concept de logique textuelle, cf. Moor [16], p. 165 ss, et [17], passim, notamment p. 242, 255.

  10. Sur la distinction entre dictionnaire et encyclopédie, cf. Eco [7], p. 110 ss.

  11. Par rationalité, nous entendons un discours accessible à une discussion critique des arguments présentés pour justifier la solution retenue, et non pas, évidemment, la possibilité d'une démarche aboutissant à la seule alternative vrai/faux.

  12. Moor [17], p. 202 ss.

  13. Moor [17], p. 65.

  14. Concept qu’il faut comprendre objectivement: c’est la motivation de la décision qui importe, telle qu’elle est exposée ou, dans les régimes où elle est sommaire, telle qu’elle peut être reconstituée, et non pas les motifs d’ordre psychologique. Sur l'histoire, mal connue, de l'obligation de motiver, mal connue, cf. Godding [10], p. 37 ss; sur les fondements philosophiques et, aussi, la pratique française actuelle, Géa [9], particulièrement le tome 3 de sa monumentale étude, qui met au premier plan la nature dialogale du droit comme échange permanent de discours.

  15. Arbitraire veut dire ici non motivé, en ce sens qu’aucune caractéristique du signifié ne peut expliquer la forme du signifiant.

  16. Nous appelons interprétation la définition du sens abstrait d’un texte normatif telle qu’elle est formulée par l’interprète pour être substituée à la formulation originale de ce texte (Moor [17], p. 242).

  17. Nous faisons allusion ici à une affaire récente, dans laquelle il s'est trouvé la nuit des noces que l’épouse n'était plus vierge (cf. Le Monde du 29 mai 2008). Suivant l'état des mœurs, on définira la "qualité essentielle" de manière à inclure ou non la virginité. Ces problèmes de définition n'apparaissent souvent que dans une situation concrète que la définition antérieure ne permettait pas de résoudre.

  18. Sur ce point, cf. Moor [17], p. 90 ss.

  19. Dans le sens de ce que les logiciens appellent une abduction; cf. Eco [7], p. 49 ss, et [8], p. 253 ss; dans l'épistémologie juridique, Moor [ 17 ], p. 96, 289 ss.

  20. Par opposition à l’interprétation: l’application est l’opération par laquelle la norme individuelle donnant une signification juridique à une situation factuelle concrète peut être considérée comme un cas d’une norme générale; Moor [ 17 ], p. 243.

  21. Pour illustration, voir le cas du pharmacien entreposant sur une étagère, à son domicile, une fiole contenant une substance toxique de couleur rose, qu'un enfant en visite chez lui avec ses parents avale en croyant qu'il s'agit de sirop de grenadine: le pharmacien a-t-il commis un acte fautif, en relation de causalité adéquate avec le préjudice, ou les parents ont-ils violé leur devoir de surveillance? Cf. Moor [ 17 ], p. 262, 275, 289.

  22. Voir un exemple d’une telle tentative de formalisation, d’où la problématique de l’application est occultée: Sánchez-Mazas [24], p. 779 ss. Voir aussi Alchourrón/Bulygin [1], spécialement p. 27 ss, où des cas individuels sont analysés pour être rangés dans la classe d'un seul et même cas générique, laquelle est définie par une seule et même propriété—une telle univocité est rarissime dans la pratique juridique, ce qui empêche cette méthode d'être typique de la juridicité.

  23. Inutile d’insister ici sur le fait qu’est posée ainsi l’impossibilité logique du soi-disant syllogisme juridique.

  24. Reprenant une terminologie de la doctrine juridique allemande, nous les appelons notions juridiques indéterminées (unbestimmte Rechtsbegriffe; Moor [17], p. 117 ss); on regrettera la formulation négative («in-», «un-»), qui donne à penser que la situation normale est celle de notions déterminées, alors qu’elles sont beaucoup plus rares qu’on ne le pense (données chiffrées, ou fixées par acte d’autorité [par exemple l’état civil]).

  25. Rappelons que nous entendons par là les textes, émis selon les règles de l'ordre juridique, dont l'objet est de «dire» une norme—la norme est alors le référent du texte qui la vise et qui, faisant entrer dans le code juridique des signes nouveaux, la produit; les exemples qui suivent éclaireront cette définition; cf. ci-dessus note 8 et Moor [17], p. 61 ss (sur les textes normatifs), 71 ss (sur leurs rapports à la norme).

  26. Même dans le cas de la coutume, il faut qu’un juge en constate l’existence, aux conditions posées par l’ordre juridique, avant de l’appliquer.

  27. Il est clair que la situation factuelle de Martin comme juge est précédée par une autre situation factuelle juridiquement codifiée—celle de son élection comme juge.

  28. Pour reprendre la terminologie de John L. Austin. La performativité vient de ce que le code juridique, se surimposant au code linguistique, donne à un énoncé une portée que le code linguistique ne peut à lui seul lui donner (Moor [17], p. 177, 231).

  29. Cf. Moor [ 17 ], p. 177, 231.

  30. Ainsi, selon l’article 11 al. 1 et 3 de la loi fédérale (suisse) du 13 décembre 2002 sur le Parlement, «lorsqu’il entre en fonction et au début de chaque année civile, tout député indique […]: a. ses activités professionnelles; b. les fonctions qu’il occupe au sein d’organes de direction, de surveillance, de conseil ou autres dans des sociétés, établissements ou fondations suisses ou étrangers, de droit privé ou de droit public; c. les fonctions de conseil ou d’expert qu’il exerce pour le compte de services de la Confédération; d. les fonctions permanentes de direction ou de conseil qu’il exerce pour le compte de groupes d’intérêts suisses ou étrangers; […]» et «tout député dont les intérêts personnels sont directement concernés par un objet en délibération est tenu de le signaler lorsqu’il s’exprime sur cet objet au conseil ou en commission».

  31. Cf., sur ce principe, Moor/Flückiger/Martenet [18], p. 649–754.

  32. Par exemple, dans le casus du pharmacien donné ci-dessus, la responsabilité pédagogique des parents, qui implique qu’ils surveillent leur enfant; celle du pharmacien qui est censé connaître les dangers que présente les médicaments et prendre les précautions nécessaires.

  33. Jouanjan et Müller l'écrivent bien: «l'agir du juriste […] n'est pas pur, c'est-à-dire qu'il n'est pas épargné par le pouvoir (la violence)—parce qu'il en participe et y participe. […] Dans la forme politique de l'Etat de droit, le pouvoir (la violence, die Gewalt) est "textualisé" […] en ce sens que le droit de l'Etat de droit travaille le moins possible avec le pouvoir "nu" (et la violence nue), le pouvoir muet établi hors du langage et des textes, en leurs marges, et le plus possible avec le pouvoir (la violence) en tant qu'il est mis en forme linguistique, médié et contrôlable dans le langage » : [11], p. 19.

  34. Bien évidemment, il ne s'agit pas de faire de la doctrine une source du droit, en tout cas si on tient à cette trompeuse métaphore, mais de mettre en lumière sa fonction propre dans la dynamique du système juridique, dont elle est partie prenante — et cela depuis la période classique du droit romain.

  35. Sur ces deux modes d’impérativité, cf. Moor [17], p. 166 ss, 175 ss.

  36. Arnaud [ 2 ], p. 338 ss; Arnaud/Fariñas Dulce [3], p. 268 ss. A ce sujet, cf. Moor [17 ], p. 218 (note 21) et 226 (note 40).

  37. Innovation orthographique inspirée évidemment de Jacques Derrida.

  38. La fonction de validation attribuée par Kelsen à la Grundnorm (qu'il s'agisse d'une hypothèse logico-transcendantale ou d'une fiction juridique) est assurée pour nous par l'acte de référance (praxico-sémantique) à l'ordre juridique dans son entier, c'est-à-dire dans toutes les articulations de son organisation systémique: ici aussi, chevauchement, et non opposition.

  39. Principalement la doctrine, et il ne s’agit pas essentiellement pour elle de «critiquer», mais d’évaluer la portée de la norme adoptée dans la continuité et la cohérence de l’ordre juridique.

  40. Et peu importe, juridiquement, pour quelle raison ils s'y conforment—par sens éthique, par peur des sanctions, à cause de la force inconsciente de leur surmoi, etc.

  41. Cf. cependant tout récemment l'essai de Peters [23], p. 411 ss (avec d'abondantes références).

  42. Voir avant tout Ost/van de Kerchove [20]; Delmas-Marty [5 et 6].

  43. Sur le «réseau» de ce pouvoir, voir en particulier Corm [ 4 ], notamment les chapitres 5, 7 et 8, et, de manière sociologiquement plus approfondie, Sassen [25], notamment le chapitre IV.

  44. Dans ces milieux, du moins en Suisse, même la Convention européenne des droits de l'homme passe pour «étrangère», et les juges de Strasbourg pour des juges «étrangers».

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Moor, P. Les figures de l’ordre juridique dans les relations entre le droit et son environnement. Int J Semiot Law 26, 783–804 (2013). https://doi.org/10.1007/s11196-013-9332-y

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