L’absorption de la solution de glycine utilisée comme liquide d’irrigation au cours d’une résection endoscopique d’un myome utérin peut se compliquer d’une hyponatrémie par dilution, d’un oedème cérébral et d’une surcharge volémique.15 Nous décrivons le cas d’une absorption massive de liquide d’irrigation, chez une patiente subissant une résection d’un myome intra-utérin par voie hystéroscopique.

Éléments Cliniques

Une patiente de 31 ans (poids : 65 kg; taille : 170 cm), sans antécédents médicaux ou chirurgicaux notables, se présente pour résection d’un myome utérin de 5 cm n’ayant répondu que partiellement au traitement médical par décapeptyl, débuté deux mois auparavant. L’indication d’une résection par voie hystéroscopique est posée après refus de la patiente d’une myomectomie par laparotomie. L’examen clinique et le bilan préopératoire sont normaux.

Après le refus de l’anesthésie locorégionale proposée à la patiente, une anesthésie générale est décidée. Le monitorage comprend un électrocardiogramme trois dérivations, une pression artérielle non invasive, un saturomètre, un capnographe, un monitorage de la curarisation et un thermomètre oesophagien. La patiente présente une fréquence cardiaque à 75 min−1, une tension artérielle à 135/72 mmHg, une saturation artérielle en oxygène à 99% et une température à 37.2°C. Une perfusion de Ringer lactate est débutée sur un cathéter veineux périphérique 20G à un débit de 450 mL · h−1.

À l’induction de l’anesthésie, la patiente reçoit propofol 150 mg, fentanyl 150 μg, rocuronium 35 mg et dexamethasone 8 mg comme prophylaxie anti-émétique. Une intubation orotrachéale est effectuée et les poumons sont ventilés mécaniquement avec un volume courant de 500 mL, une fréquence à 14 min−1 et un mélange O2 0,8 L · min−1/N2O 1,2 L · min−1/isoflurane 1 %. La pression intra trachéale est à 19 cmH2O, la pression partielle de CO2 (pCO2) expiré est à 30 mmHg et la saturation en oxygène à 99 %. La patiente maintient une stabilité hémodynamique durant l’intervention, avec une tension artérielle à 102/60 mmHg, une fréquence cardiaque à 65 min−1, une saturation à 99 %, et une pression partielle télé-expiratoire de CO2 à 30 mmHg.

Après perfusion de 7 L d’une solution de glycine à 1.5 % connectée au port latéral de l’hystéroscope, sous pression de 170 mmHg, et résection de 70 % de la masse tumorale, la patiente présente, 35 min après le début de la résection, une bradycardie à 41 min−1 et une poussée hypertensive à 150/86 mmHg, attribuées à un allègement de l’anesthésie et traitées par de l’atropine 1 mg iv et du fentanyl 100 μg. Dix minutes plus tard, la patiente est toujours hypertendue à 160/95 mmHg et a une fréquence cardiaque à 106 min−1. Elle présente alors une désaturation à 90 %, une augmentation de la pCO2 expirée à 49 mmHg et de la pression intratrachéale à 50 cmH2O. À l’auscultation, des sibilants diffus témoignent d’un bronchospasme majeur. Une aspiration endotrachéale ramène un peu de secrétions bronchiques de couleur blanchâtre. Une augmentation de la fraction inspirée d’oxygène (FIO2) à 100 % après arrêt du N2O, une réduction du volume courant à 400 mL, une augmentation de la fréquence respiratoire à 20 min−1, un approfondissement de l’anesthésie avec du fentanyl 100 μg et du rocuronium 10 mg et une diminution du débit de la perfusion intraveineuse à 200 mL · h−1 sont effectués. Malgré ces mesures, le tableau clinique s’aggave avec l’apparition d’un œdème facial, d’une distension abdominale très importante, ce qui nécessite l’arrêt immédiat de l’intervention chirurgicale 60 min après début de la résection.

Devant la suspicion d’un syndrome de résorption et un déficit dans la balance hydrique du liquide d’irrigation estimé à 3 L, un bilan biochimique est demandé et montre une hyponatrémie sévère (Tableau 1). Une échographie pelvienne montre une extravasation liquidienne intrapéritonéale estimée à 1 L et aspirée par la suite par une ponction transvaginale, qui ramène 300 mL de liquide clair. Une radiographie du thorax révèle une surcharge vasculaire bilatérale avec oedème interstitiel prédominant à droite. Un cathéter central posé dans la veine jugulaire interne droite montre une tension veineuse centrale (TVC) à 19 cmH2O. On administre alors furosémide 60 mg et une solution de 300 mL de sérum salé hypertonique à 3 % perfusée en 60 min. Le bilan biochimique 60 min après le début du traitement montre une petite amélioration de la natrémie (Tableau 1). Le bilan d’hémostase, la formule numération sanguine ainsi que le bilan phosphocalcique sont alors normaux.

Tableau 1 Évolution des valeurs biologiques

Durant cette période, la ventilation mécanique est poursuivie avec les mêmes paramètres ventilatoires, une sédation (midazolam, 5 mg iv) est fournie après l’arrêt des agents anesthésiques. La patiente présente une stabilité hémodynamique avec une tension artérielle de 130/60 mmHg, une fréquence cardiaque à 80 min−1 et une TVC de 17 cm d’H2O.

La malade, sédatée, est transférée en salle de réveil pour ventilation artificielle et poursuite du traitement médical. Elle reçoit une deuxième dose de 300 mL de sérum salé hypertonique à 3 % en une heure, puis du sérum salé 0.9 % à raison de 1 L par 24 h.

Après quatre heures, la patiente présente des signes de réveil, elle est ventilée en aide inspiratoire à 15 cmH2O avec diminution progressive de la FIO2 et arrêt de la pression positive télé-expiratoire. Son bilan apparaît au Tableau. Elle est extubée à la sixième heure postopératoire après une amélioration nette de la radiographie du thorax, une TVC de 15 cmH2O et une diurèse de 2500 mL au cours des six heures précédentes. Elle est consciente, coopérante, sans déficit neurologique ni troubles visuels. Une échographie abdominale montre un résidu de liquide intra-péritonéal estimé à 200 mL. Elle présente une bonne évolution biologique et clinique et elle est transférée à la 24e heure postopératoire dans le service de chirurgie. La natrémie revient près des valeurs normales (Tableau 1). Le bilan liquidien indique des entrées de 1800 mL et des sorties de 4200 mL.

Discussion

L’absorption du liquide d’irrigation au cours de la chirurgie urologique, notamment la résection transuréthrale de la prostate, ou gynécologique, telle que la résection hystéroscopique d’un myome utérin, est inévitable.15 La glycine reste couramment employée comme liquide d’irrigation au cours des résections endoscopiques et son absorption peut entraîner des troubles neurologiques, visuels et cardiovasculaires.68 Les complications sont en rapport avec la quantité et la nature du liquide absorbé. Parmi les complications les plus redoutables, on cite l’encéphalopathie hyponatrémique qui peut se compliquer d’un oedème cérébral avec risque d’engagement en l’absence d’un traitement approprié.9 La prévention du syndrome de résorption repose sur le respect de différents facteurs tels que : la pratique d’une anesthésie locorégionale, qui permet le diagnostic précoce des complications neurologiques; la limitation de la durée de l’intervention à moins de 60 min; la hauteur des poches d’irrigation à moins de 60 cm au dessus du niveau utérin afin de contrôler la pression hydrostatique intracavitaire; la réduction de l’étendue de la résection, car le volume du liquide résorbé est proportionnel au volume du tissu réséqué; l’utilisation des résecteurs optiques à double courant qui permettent le drainage continu du contenu utérin; et l’utilisation d’un hystéroscope avec un système électrique bipolaire permettant l’usage du sérum salé à 0.9 % comme liquide d’irrigation. Le sérum physiologique protège des effets délétères de l’hyponatrémie mais pas de la surcharge volémique.4,5,1014 Dans le cas décrit ici, la patiente opte pour l’anesthésie générale, le liquide d’irrigation pour expandre la cavité utérine est la glycine à 1,5 % et la pression des poches d’irrigation est réglée à 170 mmHg. De plus la résection généreuse du myome (plus de 70 % de la tumeur) en moins de 45 min favorise ce syndrome de résorption.

Le traitement du syndrome de résorption est fonction de la gravité du tableau clinique. Des recommandations de conduite thérapeutiques viennent d’être publiées. En l’absence de troubles neurologiques une restriction hydrique associée à un diurétique de l’anse serait suffisante chez les patients présentant une hyponatrémie modérée (120–125 mmol · L−1). Cependant un traitement spécifique par du sérum salé hypertonique est indiqué dans les hyponatrémies aigues symptomatiques, ou les hyponatrémies graves (< 120 mmol · L−1). Dans notre cas, vu la sévérité de la symptomatologie associant une surcharge volémique, un oedème pulmonaire et une hyponatrémie sévère à 100 mmol · L−1, un diurétique et du sérum salé hypertonique ont été administrés.9

Ce cas nous illustre la gravité du tableau clinique en cas d’absorption massive de la glycine où la symptomatologie précoce de ce syndrome a été masquée par l’anesthésie générale et où seules l’hypertension artérielle et la bradycardie étaient les signes évocateurs d’un syndrome de résorption. Le diagnostic s’est confirmé par la suite par l’installation du tableau clinique associant œdème pulmonaire, hypoxie et une hyponatrémie à 100 mmoles · L−1. Dans la littérature ce chiffre d’hyponatrémie a été corrélé avec des cas de fatalité.4,9,10,1517 Une revue des cas cliniques publiés montre que le retard dans l’administration du sérum salé hypertonique,6,9,17 son omission dans la thérapie de l’hyponatrémie aigue,4,16,18 ainsi que l’hypoxie associée,19,20 sont les facteurs aggravant l’encéphalopathie hyponatrémique conduisant au décès.

Nous concluons que malgré l’installation d’une hyponatrémie aigue sévère avec surcharge volémique secondaire à un syndrome d’absorption à la glycine, une correction rapide de l’hyponatrémie par du furosémide et du sérum salé hypertonique associée à une réanimation respiratoire par une ventilation mécanique, sont à l’origine de l’évolution favorable de notre patiente.