Skip to main content

Jean Meslier, le Doute Méthodique et le Matérialisme

  • Chapter
The Return of Scepticism

Résumé

“La main qui fait tout”, dont Fénelon parlait dès le commencement de sa Démonstration de l’existence de Dieu, est pour Jean Meslier non pas celle imaginaire d’un Dieu invisible, mais la nature.1 Pour le prouver, il va agir méthodiquement, en suivant une démarche qui emprunte certains de ses outils au scepticisme. Tout d’abord, il souligne que les perfections que l’on trouve dans la nature n’exigent nullement l’existence d’un être infiniment parfait, sauf à accepter que les infinies perfections de cet être renvoient à leur tour à un autre encore plus parfait: plus un être est parfait, plus ses perfections demanderaient une cause, ce qui nous mènerait dans une série d’êtres plus infiniment parfaits les uns que les autres — “ce qui répugne entièrement à la droitte raison”, comme Meslier tient à le remarquer [Paris-B.N. F. fr. 19460, f. 196]. Que si pour couper court à cette série infinie, l’on dit que l’être infiniment parfait est par lui-même ce qu’il est, on ne conçoit pas les raisons qui empêcheraient d’affirmer la même chose d’une nature ordonnée, où éclatent mille perfections. Ainsi, il ne resterait plus qu’à examiner si c’est Dieu ou la nature le premier être, ou l’être nécessaire. Or, Meslier jugeant que le Dieu infiniment parfait dont parle Fénelon est un être imaginaire, il croit abusif et erroné de le confondre avec l’être nécessaire.

This is a preview of subscription content, log in via an institution to check access.

Access this chapter

Chapter
USD 29.95
Price excludes VAT (USA)
  • Available as PDF
  • Read on any device
  • Instant download
  • Own it forever
eBook
USD 169.00
Price excludes VAT (USA)
  • Available as PDF
  • Read on any device
  • Instant download
  • Own it forever
Softcover Book
USD 219.99
Price excludes VAT (USA)
  • Compact, lightweight edition
  • Dispatched in 3 to 5 business days
  • Free shipping worldwide - see info
Hardcover Book
USD 219.99
Price excludes VAT (USA)
  • Durable hardcover edition
  • Dispatched in 3 to 5 business days
  • Free shipping worldwide - see info

Tax calculation will be finalised at checkout

Purchases are for personal use only

Institutional subscriptions

Preview

Unable to display preview. Download preview PDF.

Unable to display preview. Download preview PDF.

Littérature

  1. Le Mémoire des pensées et sentiments de Jean Meslier a circulé manuscrit — en entier et sous forme d’extraits — pendant tout le XVIIIe siècle. Pour une vue d’ensemble de la diffusion du texte, voir mon livre La Face cachée des Lumières. Recherches sur les manuscrits philosophiques clandestins de l’Age classique. Oxford-Paris: Voltaire Foundation-Universitas, 1996. Meslier a aussi écrit des notes en marge des Œuvres philosophiques de Fénelon, parues posthumement à Paris, chez F. Delaulne, en 1718, où les éditeurs avaient réuni deux écrits concernant la Démonstration de l’existence de Dieu; ces notes ont aussi été recopiées dans d’autres exemplaires. Je citerai le ms. Paris-B.N., F. fr. 19460, autographe, et l’exemplaire des oeuvres de Fénelon existant à Versailles-B.M. Rés. C 45, ayant servi de base pour lédition des Œuvres de Jean Meslier par J. Deprun, R. Desné et A. Soboul, 3 volumes. Paris: Anthropos, 1970–1972.

    Google Scholar 

  2. Ce qui est entre crochets manque dans le manuscrit.

    Google Scholar 

  3. “Deus est sui ipsius principium et finis, utriusque carens, neutrius egens, utriusque parens atque autor, semper est sine tempore, cui praeteritum non abit, nec subit futurum, régnât ubique sine loco, immobilis absque statu, pernix sine motu, extra omnia omnis; intra omnia sed non includitur ab ipsis. Extra omnia, sed non ab ipsis recluditur; intimus haec regit, extimus creavit, bonus, sine qualitate; sine quantitaté magnus, totus sine partibus, immutabilis cum caetera mutât, cujus velle potentia, cujus opus volontas; simplex in quo nihil est in potentia, sed in actu omnia, imo ipse purus, primus, médius, et ultimus actus, denique est omnia, super omnia, extra omnia, intra omnia, praeter omnia et post omnia, omnis” [f. 198v; Meslier cite l’Amphitheatrum aeternae providentiae (Lyon, 1615), Exercice II, p. 10. Il traduit lui-même le latin. Sur l’utilisation par Meslier de ce texte, voir Deprun, Jean, “Sens et fortune d’une page de Vanini”, Œuvres de Jean Meslier, cit., tome II, note annexe XVIII, pp. 577–581].

    Google Scholar 

  4. Meslier ne pouvait pas ignorer la réputation de Vanini, puisqu’il lisait chez Malebranche que Voët avait accusé Descartes “d’être un athée, & même d’enseigner finement & secrètement l’athéisme, ainsi que cet infame athée nommé Vanino qui fût brûlé à Toulouse, lequel couvroit sa malice & son impieté en écrivant pour l’existence d’un Dieu” [De la recherche de la vérité IV, VI, IV; O.C., t. II. Paris: Vrin, 1974, pp. 55–56. Nous citons la deuxième édition, parue en 1675–1676, qui est celle que Meslier a apparemment lue. Voir la note de J. Deprun “Meslier, lecteur de Malebranche”, dans le tome II des Œuvres de Jean Meslier, cit., pp. 581–582; et mon article “La formation philosophique de Jean Meslier et la construction du matérialisme”, dans Nakagawa, H., Ichikawa, S., Sumi, Y., Okami, J., éds., Ici et ailleurs: le dix-huitième siècle au présent. Mélanges offerts à J. Proust. Tokyo: Librairie France Tosho, 1996, pp. 255–267].

    Google Scholar 

  5. II faut toutefois remarquer que la suspension provisoire du jugement que Meslier prônait préalablement était déjà vraisemblablement d’inspiration cartésienne: en effet, elle est acceptable du fait qu’il s’agit de “découvrir la vérité d’une chose” — par où il faut sans doute entendre que cette suspension serait plus discutable, ou peut-être même impossible, sur le plan de la vie pratique.

    Google Scholar 

  6. Les mots en italiques ont été ajoutés entre les lignes; celui entre crochets manque dans le manuscrit.

    Google Scholar 

  7. Œuvres philosophiques, cit., 2e partie, chap. 1er.

    Google Scholar 

  8. Dans une note en marge des “Réflexions sur l’Athéisme” du P. Tournemine, fermant le traité de Fénelon, Meslier dit encore ce qu’il faut penser du doute universel qui mène au solipsisme, à propos des thèses d’un philosophe disciple de Berkeley: “Il faut être plus foux que sage pour entrer dans de tels sentimens” [op. cit., p. 556, rem. 1.2.3.].

    Google Scholar 

  9. Voir II, II, VII, II (“Erreur considérable des personnes d’étude”); et le jugement qu’il porte sur le “pyrrhonien” Montaigne, II, III, V.

    Google Scholar 

  10. Comme Jean Deprun l’a signalé, Matth. 7, 9 [Œuvres de Jean Meslier, t. II, p. 187, note 1].

    Google Scholar 

  11. De la Recherche de la vérité I, V, 1: “Les pierres ne sont pas propres à la nourriture; la preuve en est convaincante, & le seul goût en a fait tomber d’accord tous les hommes./Le plaisir & la douleur sont donc les caractères naturels & incontestables du bien & du mal…” [O.C., tome I, Paris: Vrin, 1972, p. 72]. Le texte de Meslier montre d’ailleurs implicitement l’incompatibilité foncière entre le véritable pyrrhonisme et une pensée qui se veut d’inspiration théiste: la distinction entre le bien et le mal doit être nécessairement constante pour qui croit en Dieu, sous peine de lui attribuer la responsabilité des mauvaises actions qu’un scepticisme sincère, quoique passager, pourrait permettre à des sujets qui douteraient momentanément de la qualité morale de leurs actes. C’est encore une raison pour ne pas croire à la sincérité du doute hyperbolique des cartésiens.

    Google Scholar 

  12. “Ce n’est pas que l’on puisse douter qu’il y ait actuellement des corps, lorsque l’on considère que Dieu n’est point trompeur, & l’ordre réglé qu’il met dans nos sentimens, soit dans les rencontres naturelles, soit dans celles qui n’arrivent que pour nous faire croire ce que nous ne pouvons naturellement comprendre: mais c’est qu’il n’est pas fort nécessaire d’examiner par de grandes réflexions une chose dont personne ne doute, & qui ne sert pas de beaucoup à la connoissance de la Physique considérée comme une véritable science” [VI, II, VI; 0.C., tome II, cit., p. 377]. Meslier pouvait trouver ailleurs la confirmation de ce sentiment (voir par exemple I, X, introduction, où Malebranche écrivait qu’”on peut assurer qu’il y a ordinairement hors de nous de l’étendue, des figures, & des mouvemens, lorsque nous en voyons. Ces choses ne sont point seulement imaginaires, elles sont réelles; & nous ne nous trompons point de croire, qu’elles ont une existence réelle, & indépendante de notre esprit, quoiqu’il soit très-difficile de le prouver” [O.C, tome I, cit., pp. 121–122].

    Google Scholar 

  13. Meslier ne pouvait d’ailleurs qu’être confirmé dans cette opinion en lisant la “Préface” des éditeurs des Œuvres philosophiques de Fénelon, qui voyaient eux-mêmes dans le doute universel des cartésiens un jeu subtil ne pouvant pas résister à l’évidence: “Pour faire appercevoir la certitude des preuves Métaphysiques de l’Existence de Dieu, l’Auteur nous conduit d’abord dans le doute universel, mais d’une manière bien différente de celle de quelques autres Philosophes qui ont suivi cette route./Le doute de notre Auteur n’est pas un jeu subtil de l’esprit, où après avoir douté de tout on paroît l’inventeur d’un nouveau système rempli de belles idées, mais sèches, steriles & purement spéculatives. Le doute de notre Philosophe a tout un autre but; il nous conduit à des veritez plus solides. Il l’emploie d’abord à nous faire sentir la foiblesse humiliante de l’esprit humain, & nous inspire ensuite l’ardent désir de rechercher une lumière supérieure pour nous éclairer. L’Auteur ne nous conduit dans les abysmes du Pyrrhonisme que pour nous en faire sentir l’horreur, & nous donner une sincere envie d’en sortir […]/ Il est vrai qu’en certains endroits il semble pousser le doute trop loin, & douter même des premiers principes ausquels il est obligé de revenir par un raisonnement qui peut paroître circulaire. Mais son but est de montrer qu’il y a une évidence à laquelle on ne sçauroit résister, à laquelle on est forcé malgré soi de revenir après avoir tâché en vain de la rejetter. Evidence qui est la même dans tous les païs du monde, à la Chine comme en Amérique. Evidence qui est une regle commune pour tous les hommes. Evidence qui se présente toujours également quand on la consulte avec attention, qui a été la même dans tous les siècles passez, & qui sera la même dans tous les siècles futurs. Evidence que nulle circonstance ne peut changer, qui ne varie point par les vicissitudes perpétuelles qui arrivent dans tout le reste… “ [op. cit., iii-iv].

    Google Scholar 

  14. Jean Deprun en a fait le rapprochement: “… l’être sans restriction est nécessaire; il est indépendant; il ne tient ce qu’il est que de lui-même: Tout ce qui est, vient de lui. S’il y a quelque chose, il est; puisque tout ce qui est vient de lui” [De la Recherche de la vérité IV, XI, 2. O.C, tome II, p. 95; Œuvres de Jean Meslier, cit., t. II, p. 187–188, note 2].

    Google Scholar 

  15. C’est moi qui souligne. Descartes fondait la certitude du cogito sur un raisonnement semblable: “Après cela, ie consideray en general ce qui est requis à une proposition pour estre vraye & certaine; car, puisque ie venois d’en trouver une que ie sçavois estre telle, ie pensay que ie devois aussi sçavoir en quoy consiste cette certitude. Et ayant remarqué qu’il n’y a rien du tout en cecy: ie pense, donc ie suis, qui m’assure que ie dis la vérité, sinon que ie vois très clairement que, pour penser, il faut estre: ie iugay que ie pouvois prendre pour reigle generale, que les choses que nous concevons fort clairement & fort distinctement sont toutes vrayes…” [Discours de la Méthode, IV; Œuvres complètes de Descartes, éds. Ch. Adam et P. Tannery. Nouvelle présentation, en co-édition avec le C.N.R.S., t. VI, Paris: J. Vrin, 1982, p. 33]. Seulement, pour Descartes l’être qui pense se confond avec la pensée. Meslier ignore sans doute cette formule équivoque [Jean Deprun a attiré l’attention sur la formule utilisée par Descartes; Œuvres de Jean Meslier, cit., t. II, p. 187, note 2].

    Google Scholar 

  16. Plus loin, en se penchant sur la nature de l’âme dans la huitième preuve, Meslier définit la pensée comme un mode de la matière organisée dans l’être vivant qui est l’homme; c’est le corps, la matière, qui sent et qui pense, par l’intermédiaire de l’âme, qui n’est que la matière plus subtile qui fait partie du corps; la matière est le substrat ultime de toutes les actions vitales qui, autant que la pensée elle-même, donnent le sentiment de l’existence personnelle.

    Google Scholar 

  17. C’est moi qui souligne.

    Google Scholar 

  18. Meslier cite plus loin un texte de Malebranche sur l’âme, qui a sans doute inspiré sa réflexion sur ce que penser signifie être: “La premiere de toutes nos connoissances, dit le même* auteur, est l’existence de notre **ame, toutes nos pensées en sont des demonstrations incontestables, car il n’y a rien de plus evident que ce qui pense actuellement, est actuellement quelque chose…”. Le curé écrit en marge: “*Cet auteur confond ici l’être avec les manières d’etre, c’est ce qui le trompe” [f. 310v. Les mots de Malebranche sont transcrits littéralement du traité De la recherche de la vérité VI, II, VI]. Par la seconde note en marge, Meslier entend rétablir que la première de nos connaissances “c’est plutôt l’existence de nous mêmes” (cette note existe seulement dans le manuscrit Paris-B.N. F. fr. 19460). Jean Deprun a attiré l’attention sur cette deuxième note, impliquant à son avis que Meslier adopte le point de vue des cartésiens, l’évidence du sujet qui pense primant toute autre connaissance [Œuvres de Jean Meslier, cit., t. III, p. 18, note]. En réalité cependant, ce qui est ici en question pour Meslier n’est pas du tout le point de départ de la réflexion, mais plutôt la nature de l’âme ou de la pensée, qui ne serait, comme il le dit, qu’une manière d’être de la matière organisée dans le corps; d’ailleurs, la formule même qu’il emploie n’est pas sans ambiguïté.

    Google Scholar 

  19. Voir Jean Deprun, dans Œuvres de Jean Meslier, cit., t. II, pp. 186–187, note 2; t. III, pp. 367–371, note annexe 1: “Le Cogito matérialiste de Meslier”. Le texte cité illustre pour lui ce qu’il appelle un “cogito parménidien” ou cosmologique. II l’appelle aussi “cogito à rebours” [op. cit., t. III, p. 43, note 1],

    Google Scholar 

  20. Jean Deprun parle dans ce cas d’un cogito “somatique” [“Le cogito matérialiste de Meslier”, loc. cit., p. 368]; nous citons l’ensemble du texte.

    Google Scholar 

  21. Si Meslier passe “du mental au physique, sans se préoccuper d’établir d’abord la réalité objective de son corps”, comme le signale Jean Deprun (ibid.) c’est tout simplement que ce corps est en lui-même quelque chose d’évident, point de départ donc de la réflexion et non pas conclusion d’un quelconque raisonnement. Il n’y a donc pas de passage indu du mental au physique. L’une des remarques que Meslier fait à la réflexion de Fénelon sur le cogito cartésien confirme encore cette interprétation: “Ce qui pense en l’homme est l’homme même”, répond Meslier à l’évêque, qui prétend sauver l’évidence de “ce qui pense en [lui]”, “l’homme ne sçauroit se distinguer de lui même, c’est pourquoi il ne scauroit douter s’il est, du moment qu’il pense ou qu’il se sent” [p. 330, rem. 1]. L’homme est son corps, et c’est pourquoi la pensée renvoie nécessairement à ce corps. Le même commentaire s’impose à propos d’une autre remarque. Fénelon affirmant dans sa critique de l’épicurisme que la matière aurait pu toujours rester inerte, Meslier écrit en marge: “Si les corps ne se fussent jamais meus, jamais il n’y auroit eu de vie et jamais on n’auroit pensé à l’Etre ni à son mouvem[ent]. L’Etre auroit toujours été sans être jamais connu” [p. 277, rem. 1.2.]. Jean Deprun y voit un “prolongement du ‘Cogito matérialiste’”, jugeant que “le fait que je pense prouve que la matière se meut” [Œuvres de Jean Meslier, cit., t. III, p. 281, note 3]. On ne saurait le nier: sans le mouvement, point d’être vivant, et par conséquent pas de pensée. Mais cela ne signifie nullement que la pensée fonde encore ici de quelque façon que ce soit l’existence du mouvement, dont Meslier a déjà souligné l’évidence. Or, sans cela, me semble-t-il, on ne saurait parler de cogito.

    Google Scholar 

Download references

Author information

Authors and Affiliations

Authors

Editor information

Editors and Affiliations

Rights and permissions

Reprints and permissions

Copyright information

© 2003 Springer Science+Business Media New York

About this chapter

Cite this chapter

Benítez, M. (2003). Jean Meslier, le Doute Méthodique et le Matérialisme. In: Paganini, G. (eds) The Return of Scepticism. Archives Internationales D’Histoire des Idées / International Archives of the History of Ideas, vol 184. Springer, Dordrecht. https://doi.org/10.1007/978-94-017-0131-0_24

Download citation

  • DOI: https://doi.org/10.1007/978-94-017-0131-0_24

  • Publisher Name: Springer, Dordrecht

  • Print ISBN: 978-90-481-6315-1

  • Online ISBN: 978-94-017-0131-0

  • eBook Packages: Springer Book Archive

Publish with us

Policies and ethics