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Partie introductive. Le problème du mouvement conçu comme détermination ontologique fondamentale

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Book cover Interprétations phénoménologiques de la 'Physique' d’Aristote chez Heidegger et Patočka

Part of the book series: Phaenomenologica ((PHAE,volume 223))

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Abstract

Heidegger et Patočka sont les deux philosophes de la tradition phénoménologique à s’être le plus intéressés à la pensée aristotélicienne. La raison en est qu’Aristote, selon eux, ne dévalue pas les choses telles qu’elles apparaissent au profit d’une conversion du regard vers un ciel intelligible au-delà des apparences. Au contraire, Aristote pense déjà en phénoménologue, dans la mesure où il se laisse guider avant l’heure par l’exigence d’un retour aux choses mêmes. Comme l’écrit Patočka :

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Notes

  1. 1.

    ADS, p. 423–424.

  2. 2.

    J. Patočka, « La conception aristotélicienne du mouvement : signification philosophique et recherches historiques » (article de 1964), MNMEH, p. 136. Il existe beaucoup d’autres textes où Patočka relève chez Aristote la notion d’un mouvement ontologique (qu’il qualifie également dans Aristote, ses devanciers, ses successeurs, de « mouvement processus »). Cf. PP, p. 30, note (ce texte se trouve aussi dans ADS, p. 252) ; ADS, p. 26 ; ou bien plus tardivement dans Platon et l’Europe : PE, p. 203.

  3. 3.

    GA 9, p. 249 ; PA, p. 500. Où l’on voit que le fait de requérir que le mouvement soit pensé comme « genre de l’être » ne signifie pas autre chose que de l’appréhender comme détermination ontologique. Heidegger a traité à différentes reprises de la question du mouvement chez Aristote , et ses analyses sont à chaque fois guidées par le souci de soustraire la κίνησις à une interprétation seulement ontique (c’est-à-dire comme simple propriété d’un étant de se mouvoir). Cf. GA 62 (notamment § 11 f, § 13 et § 14) ; GA 18, (§ 25 à 28) ; GA 22, (§ 60 à 65) ; GA 24 (§ 19a) ; GA 29/30 (§ 8 à 12).

  4. 4.

    Précisons qu’il ne s’agit en aucun cas de penser la constitution de l’étant à partir d’une quelconque instance subjective de type « ego pur » ou « conscience transcendantale ». La constitution de l’étant par le mouvement doit être pensée – nous le verrons – comme une ontogenèse à même le monde, lequel n’est donc jamais mis entre parenthèses au profit d’une quelconque réduction phénoménologique à la sphère du sujet.

  5. 5.

    Cf. Phys., IV (8), 214b14. Cf. Du ciel, II (13–14), 292b15–298a20, et le commentaire de P. Moraux sur ce point (in Aristote , Du ciel, trad. P. Moraux, Paris, Les belles lettres [coll. des universités de France], 1965, p. 126–133). R. Brague a discuté de cette différence entre le bas du monde et le centre du monde, remettant en cause l’identification de la cosmologie aristotélicienne à un géocentrisme (voir « Le géocentrisme comme humiliation de l’homme », in R. Brague et J.-F. Courtine [éd.], Herméneutique et ontologie. Mélanges en l’honneur de P. Aubenque à l’occasion de son 60 e anniversaire, Paris, Presses universitaires de France [coll. Épiméthée], 1990, p. 203–223).

  6. 6.

    Phys., III (4–8), 202b36–208a22.

  7. 7.

    Du ciel, II (4), 286b18–287b22.

  8. 8.

    Phys., IV (6–10), 213a12–217b28.

  9. 9.

    Cf. Mét., Λ (7–8), 1072a19–1074b15.

  10. 10.

    Cf. Phys., II (1), 192b21 ; Phys., III (1), 200b12 ; Phys., VIII (3), 253b5–253b9.

  11. 11.

    ADS, p. 211.

  12. 12.

    J. Patočka , « Phénoménologie et ontologie du mouvement », PP, p. 37.

  13. 13.

    GA 9, p. 248 ; PA, p. 498.

  14. 14.

    SZ, § 69 b), p. 362.

  15. 15.

    MNMEH, p. 127.

  16. 16.

    GA 18, p. 293.

  17. 17.

    GA 9, p. 242 ; PA, p. 489. Voir aussi Introduction à la métaphysique (1935) : « D’après l’explication du mot φύσις, celui-ci signifie l’être de l’étant. Si on questionne περί φύσεως, sur l’être de l’étant, alors le traité sur la ‘Φύσις’, la ‘Physique’ au sens ancien, est déjà lui-même au-delà de τφυσικά, au-delà de l’étant, auprès de l’être. La ‘Physique’ détermine dès l’origine l’essence et l’histoire de la métaphysique » (GA 40, p. 20 ; IM, p. 30). Et selon Patočka  : « la philosophie d’Aristote ne peut être comprise que du point de vue du mouvement. Or c’est la physique qui est chez Aristote la science du mouvement et de l’étant mobile. La physique est donc le sol le plus propre de l’activité philosophique d’Aristote » (MNMEH, p. 133).

  18. 18.

    Cf. Mét., Θ (8), 1049b4–1051a4.

  19. 19.

    Pour paraphraser ici, évidemment, le titre de l’ouvrage – décisif pour la problématisation de notre travail – de P. Aubenque  : Le problème de l’être chez Aristote, Paris, Presses universitaires de France (coll. Quadrige), 1991. Nous renvoyons également à R. Boehm , La Métaphysique d’Aristote. Le fondamental et l’essential, trad. E. Martineau , Paris, Gallimard (coll. Bibliothèque de philosophie), 1976.

  20. 20.

    Phys., VIII (7), 261a1–261a3. Le texte se poursuit ainsi : « En effet, on pourrait croire ainsi que la génération est le premier des mouvements, de ce fait que la chose doit d’abord avoir été engendrée. Or, qu’il en soit ainsi pour n’importe lequel des individus engendrés, il faut cependant une autre chose qui soit mue antérieurement aux choses engendrées et qui elle-même ne soit pas engendrée, et encore une autre chose antérieure à celle-là » (261a5–261a7). La fin du texte introduit ainsi le soubassement théologique de la physique, où le premier moteur est appelé à mouvoir éternellement les corps célestes.

  21. 21.

    Sur l’ingénérabilité et l’incorruptibilité du monde, voir Du ciel, I (10), 279b4–280b1. Sur l’éternité du ciel, cf. Mét., Λ (7), 1072a23. Ici l’éternité (ἀίδιον) du mouvement doit être distinguée de l’éternité du premier moteur hors du temps. Il s’agit à proprement parler d’une sempiternité, c’est-à-dire d’une éternité incessante (ἄπαυστος), qui dure infiniment (si Aristote dénie à l’infini la moindre réalité spatiale, il n’en va pas de même pour le temps ; c’est même en tirant argument de l’infinité du temps que le Stagirite prouve l’éternité du mouvement).

  22. 22.

    Cf. Du ciel, I (9) qui traite de la perfection des êtres célestes : « C’est pourquoi les choses de là-haut ne sont point dans un lieu ; nul temps ne les fait vieillir ; il n’est point de changement pour aucun des êtres disposés sur la translation la plus extérieure : mais immuables, impassibles, jouissant de la meilleure et de la plus indépendante des vies, ils poursuivent leur existence, pendant la durée tout entière » (279a18). Cette immuabilité pose toutefois le problème évident de savoir en quoi consiste un mouvement immuable, c’est-à-dire qui n’implique aucun changement (cf. infra, § 2-ii).

  23. 23.

    Cf. Phys. II (1), 192b13–14 : « [C]haque être naturel, en effet, a en soi-même un principe de mouvement et de repos » (traduction légèrement modifiée). Cette définition pose certes un problème quant à la possibilité d’inclure dans la φύσις les corps célestes, lesquels ne sont précisément jamais en repos, mais se meuvent continûment de façon circulaire, comme le rappelait déjà Alexandre d’Aphrodise dans son commentaire rapporté par Simplicius (Simplicii in Aristotelis Physicorum libros quattuor priores commentaria, éd. H. Diels , Berlin, G. Reimeri, 1882–1895, 264–18). Mais comme par ailleurs les corps célestes sont bien aux yeux d’Aristote des corps naturels, on peut se fier à la solution proposée par Porphyre, qui propose d’interpréter le « et » comme une disjonction : il suffit donc qu’un étant comporte en lui un principe de mouvement pour qu’il soit naturel.

  24. 24.

    Voir aussi Génération et corruption, II (10–11), 336a15–338b17.

  25. 25.

    E. Berti parle de suprématie (cf. « La suprématie du mouvement local selon Aristote  : ses conséquences et ses apories », in J. Wiesner [éd.], Aristoteles. Werk und Wirkung : Paul Moraux gewidmet, 1. Bd., Aristoteles und seine Schule, Berlin/New York, W. de Gruyter, 1985 [p. 123–150]).

  26. 26.

    Comme l’écrit W. D. Ross  : « Des quatre espèces de changement, la locomotion est l’espèce la plus fondamentale, celle qu’impliquent toutes les autres » (W.D. Ross, Aristote , trad. J. Samuel, Paris/Londres/New York, Gordon & Breach, 1971, p. 116).

  27. 27.

    Phys., II (2), 194b13. Cf. aussi Mét., Λ (5), 1071a13 avec à l’arrière-plan la théorie des quatre causes.

  28. 28.

    Nous agrégeons ces deux termes pour bien souligner que la cosmologie, qui porte certes sur des étants au mode d’être particulier (puisqu’ils ne sont mus que par mouvements locaux, lesquels qui plus est diffèrent des mouvements locaux du monde sublunaire en ce qu’ils n’ont pas de début ni de fin), n’est pas un domaine au-delà de la physique, mais tombe sous son registre puisque les objets qui le composent sont en mouvement. Cette remarque s’avère importante si l’on tient compte du caractère éternel des sphères, par quoi elles ressemblent à l’éternité du premier moteur, au point que la tentation peut être grande alors de les traiter à la manière du θεῖον immobile comme des entités transcendantes, c’est-à-dire supramondaines. Mais c’est le contraire qui est le cas : les corps célestes peuplent la partie haute du monde, et le premier mû n’est autre que la limite même de ce monde. A contrario, étant immobile le premier moteur n’est pas un φύσει ὄν, et il n’est donc pas non plus l’objet d’une cosmologie, mais plutôt d’une théologie, laquelle n’a donc pas vraiment sa place légitime au sein d’une physique, mais plutôt dans le cadre d’une métaphysique.

  29. 29.

    Cela découle de Mét., Ν (2), 1088b27 : « (…) aucune substance n’est éternelle si elle n’est en acte et si les éléments sont la matière de la substance, aucune substance éternelle ne saurait avoir en elle des éléments dont elle est constituée ». Au livre Λ, Aristote déduit l’actualité des substances motrices de leur immatérialité, et celle-ci découle à son tour de leur éternité : « (…) les substances en question doivent être immatérielles, car il faut qu’elles soient éternelles, s’il est quelque chose éternelle ; donc elles doivent être en acte » (Mét., Λ [6], 1071b20–22). Cf. Mét., Θ (8) : « rien de ce qui est éternel n’existe en puissance » (1050b8). L’actualité s’applique donc aux substances cosmiques en mouvement. À l’arrière-plan du raisonnement figure bien sûr l’idée que la matière est indéterminée (c’est à la forme qu’il revient d’apporter à un substrat ses déterminations, et partant son essence effective, individuée, cf. Mét., Ζ [3]). La matière introduit dans l’étant de l’être en puissance, en attente de réalisation (et en tant que telle elle est dans l’immobilité). Cependant, afin de justifier que les corps célestes puissent être en mouvement, Aristote est tout de même tenu d’attribuer aux corps célestes une matière, même si cela risque de compromettre l’actualité, et donc l’éternité de leur mouvement : « Tout ce qui change a une matière, mais elle est différente en chaque cas. Ceux des êtres éternels qui, non générables, sont cependant soumis au mouvement de translation, ont une matière, non pas la matière sujet de la génération, mais la matière sujet du mouvement d’un lieu à un autre » (Mét., Λ [2], 1069b24–26). L’analyse de cette matière des corps célestes constitue l’un des objets de Du ciel : leur propriété fondamentale est justement le mouvement circulaire éternel (cf. Du ciel, I [2]). Se rangeant du côté de l’opinion des anciens, Aristote appelle éther cette matière cosmique (Du ciel, I [3], 270b20). Finalement l’éther permet de concilier les réquisits physiques d’une ontologie du mouvement avec les contraintes théologico-cosmiques qui pèsent sur la nature éternelle des mouvements supralunaires : l’éther est une matière qui a pour particularité par rapport aux autres matières de n’introduire aucun être en puissance dans la substance considérée ; il est donc permis de penser qu’il s’agit en fin de compte d’une matière par analogie. Sur la matérialité des corps supralunaires, voir également De gen. anim., II (3), 736b29–737a7, et Mét., Η (1), 1042b5.

  30. 30.

    L. Couloubaritsis , La physique d’ Aristote , l’avènement de la science physique, Bruxelles, Ousia, 1997, p. 365. E. Berti développe la même idée en conclusion de son article : « Le mouvement circulaire, dans la mesure où il s’approche du mouvement par inertie, ressemble de moins en moins à un passage de la puissance à l’acte » (art. cit., p. 149).

  31. 31.

    Cf. Phys., III (1), 201a9–16.

  32. 32.

    P. Aubenque , Le problème de l’être chez Aristote , op. cit., p. 421–422.

  33. 33.

    Ibid., p. 422.

  34. 34.

    Comme en Mét., Ε (1), où Aristote subordonne la physique à la théologie : (cf. en particulier 1026a22–1026a32).

  35. 35.

    Cf. Phys., VIII (5), 256a4–258b10, où il n’est pas encore question de Dieu, mais du premier moteur immobile. C’est en Mét., Λ (7) que ce concept supra-physique (établi à l’intérieur de la cosmologie) acquiert une signification proprement théologique.

  36. 36.

    Heidegger s’est beaucoup attardé sur l’ambiguïté, chez Aristote , entre ces deux options métaphysiques qu’il juge exclusives l’une de l’autre ; l’une – physique – qui réfère l’étant en son pouvoir de mouvement à l’être compris comme φύσις (et qui n’est pas un étant), et l’autre – théologique – qui soumet la totalité de l’étant mondain à un étant transcendant, conçu comme principe au sens de la cause productrice. Cf. Concepts fondamentaux de la métaphysique : « Nous avons vu qu’Aristote oriente le philosopher proprement dit dans deux directions : comme question portant sur l’être ; à savoir que chaque chose qui est, dans la mesure où elle est, est quelque chose, qu’elle est l’un et non pas l’autre, etc. (…). Mais avec cela surgit, du même coup, la question portant sur l’étant proprement dit, celui qu’Aristote désigne comme le θεῖον. Il le caractérise encore plus clairement dans le contexte de l’ἐπιστήμῃ θεολογική. Le manque d’équilibre, ou le problème qui gît dans cette double direction du philosopher, n’est pas parvenu à la conscience d’Aristote ; ou du moins ne savons-nous rien à ce sujet » (GA 29/30, p. 75 ; CFM, p. 83).

  37. 37.

    C’est pourquoi Aristote peut dire qu’ils sont à la fois en acte et à distance de leur τέλος. Cf. Mét., Λ (7), 1072b1–1072b13.

  38. 38.

    Sur ce point, l’analyse de Ross converge davantage avec Heidegger que Patočka  : « (…) Aristote (…) n’essaie jamais de réduire une espèce de changement à une autre ; la différence de catégorie se dresse pour lui comme une barrière contre toute tentative de ce genre » (W.D. Ross, Aristote, op. cit., p. 117). La μεταβολή a donc un champ d’extension beaucoup plus large que les mouvements d’engendrement et de corruption, et plutôt que de faire procéder les différents types de mouvement (accroissement/diminution, altération, transport) de la γένεσις et de la φθορά, Aristote compartimente les différents mouvements selon une approche catégorielle.

  39. 39.

    GA 9, p. 249 ; PA, p. 499–500. Ce texte précède immédiatement celui que nous avons cité en introduction de notre analyse, et forme donc avec lui une unité de sens.

  40. 40.

    Voir par exemple PA, p. 497.

  41. 41.

    GA 9, p. 249 ; PA, p. 499.

  42. 42.

    Ainsi, dans les Grundbegriffe der aristotelischen Philosophie : « Phys., 200b32–201a3 : attestation de ce que la κίνησις n’est pas quelque chose παρὰ τὰ πράγματα, à savoir ‘quelque chose à côté des étants présents’ dans le monde, dans la nature. Cela signifie, en un sens positif : κίνησις est un mode de l’être de l’étant présent » (GA 18, p. 287, nous traduisons). Heidegger précise un peu plus loin que la κίνησις ainsi comprise, c’est-à-dire ontologiquement, a la structure de la μεταβολή (p. 293).

  43. 43.

    À l’exclusion il est vrai du premier moteur et des artefacts produits par savoir-faire (τέχνη). Cependant, même les ποιούμενα sont d’une façon ou d’une autre issues de la φύσις, de par la matière dont ils sont constitués d’une part, et d’autre part en tant que les hommes qui les façonnent et les aménagent sont eux-mêmes des φύσει ὄντα. Seul le θεῖον s’exclut radicalement du règne de la φύσις. Mais c’est justement la théologie aristotélicienne que Heidegger estime en recul par rapport aux exigences fondamentales d’une pensée de l’être en sa différence ontologique avec l’étant. C’est pourquoi le philosophe allemand se sentira de plus en plus enclin à franchir le pas en direction des présocratiques : Héraclite notamment se refuse de conditionner l’éclaircie de la φύσις à un étant divin transcendant, mais pense au contraire la divinité à titre de région de l’étant – fût-elle distinguée – au sein de l’ouverture omni-englobante de la φύσις.

  44. 44.

    « [T]out changement va d’un terme à un autre » (Phys., V [1], 225a1).

  45. 45.

    Adverbe temporel qui traduit littéralement le « méta » de « μεταβολή ». Heidegger, dans le texte qui nous occupe, ne met cependant pas l’accent sur cette dimension temporelle de la μεταβολή, où résonne pourtant l’affiliation aristotélicienne du temps au mouvement, selon la définition du temps au quatrième livre de la Physique comme « nombre du mouvement selon l’avant et l’après ». Dans les années de Marbourg et de Fribourg, le jeune Heidegger insistait bien davantage sur ce lien. Mais Heidegger était à l’époque encore guidé par l’établissement d’une ontologie fondamentale reconduisant le sens de l’être à la temporalité. Ce projet prenait la forme d’une explication (Auseinandersetzung) avec l’aristotélisme , et cela impliquait au niveau de l’herméneutique de la Physique de ne plus subordonner le temps au mouvement, mais de référer tout mouvement au temps lui-même, pensé dynamiquement comme temporalité, et non plus à la manière aristotélicienne comme succession des « maintenant » – le νυν n’ayant pas aux yeux de Heidegger été pensé suffisamment par Aristote dans sa teneur temporelle. Cf. Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie : « Ce qu’Aristote met en évidence à titre de temps correspond à la compréhension vulgaire préscientifique du temps. Le temps que nous connaissons vulgairement renvoie, conformément à sa teneur phénoménologique spécifique, à un temps originaire : la temporalité. Ce qui a pour conséquence que la définition aristotélicienne du temps n’est que le point de départ de l’interprétation du temps » (GA 24, p. 362 ; PFP, p. 308). Cela revenait au fond à identifier la μεταβολή – le cœur ontologique de la κίνησις – à la temporalité elle-même en tant que dimension présentifiante originaire. Après le tournant des années 30, Heidegger prend ses distances à l’égard de la problématique d’une ontologie fondamentale guidée par le sens temporel de l’être. La question du sens de l’être fait place à celle de la vérité de l’être (die Wahrheit des Seins), et la temporalité cède donc le pas à l’ἀλήθεια quand Heidegger cherche à penser la structure de l’ouverture ontologique de la présence.

  46. 46.

    GA 9, p. 249 ; PA, p. 500.

  47. 47.

    F. Fédier parle ainsi en note de sa traduction de la « frappe [qui] fait jaillir à travers un ‘milieu’ un visage qui dès lors devient visible » (PA, p. 500, n. 1).

  48. 48.

    Nous laissons de côté le couple γένεσις /φθορά parce qu’il n’a pas une signification ontique, étant donné qu’il s’agit de mouvements quant à l’οὐσία.

  49. 49.

    Dans le cours de 1927, Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie, Heidegger complétait son analyse phénoménologique de la μεταβολή, comprise comme ἔκ τινος εἶς τι (passage, lancée, jaillissement d’un point de départ à un point d’arrivée) d’une précision importante quant à la signification de cette entrée en présence : « Nous appellerons dimension (Dimension) cette structure propre au mouvement, en prenant le concept de dimension en un sens tout à fait formel où le caractère spatial est inessentiel. La dimension désigne la tension [Dehnung] par rapport à laquelle l’extension [Ausdehnung], au sens de dimension spatiale, ne représente qu’une modification particulière. Il importe de se libérer entièrement, comme l’a fait Aristote lui-même, de toute représentation spatiale dans la détermination de l’ἔκ τινος εἶς τι. Ce qui est visé dans la structure ‘de quelque chose à quelque chose’, c’est une acception tout à fait formelle de l’écart [Erstreckung] » (GA 24, p. 343 ; PFP, p. 292–293). La μεταβολή, comprise ici à l’aide des concepts de « dimension », de « tension » et d’« écart », est une structure de l’entrée en présence dépourvue de la moindre connotation spatiale, laquelle est dérivée et impropre à saisir le fond ontologiquement positif de cette notion. Ce qui veut dire que la présence de l’étant, pour Heidegger, est le point d’aboutissement d’une présentification exclusivement temporelle. Est donc déniée à la présence une autre dimension que l’on aurait pu croire originaire, à savoir le fait que l’étant présent occupe un espace, et qu’il y a ainsi à l’œuvre dans toute présence une dimension extensionnelle constitutive, non pensable exclusivement en termes de temporalité. Nous touchons ici à un point de désaccord profond entre Heidegger et Patočka , pour qui la spatialité n’est pas considérée comme un phénomène dérivé et traduisible entièrement dans le registre de la temporalisation présentifiante. Au contraire, pour Patočka le mouvement ontologique, compris comme l’œuvre même du monde, doit se comprendre à partir d’une archi-spatialité, sur fond d’une réhabilitation de la ὕλη aristotélicienne comme fond irréductible, étendu, dont l’étant procède. Voir la première partie de ce travail, en particulier les § 5 et § 14.

  50. 50.

    « Si donc les catégories se divisent en substance, qualité, lieu, temps, relation, quantité, action et passion, il doit y avoir trois mouvements, celui de la qualité, celui de la quantité, celui qui est selon le lieu » (Phys., V [1], 225b6). Ou Phys. V (1), 225a33. Et pourtant, plus tôt dans la Physique, au moment où il avait défini le mouvement comme entéléchie de ce qui est en puissance, Aristote avait rangé le couple γένεσις /φθορά parmi les mouvements (cf. Phys., III [1], 201a9–201a15).

  51. 51.

    Cf. W. D. Ross , Aristotle’s Physics, a revised text with introduction and commentary, Oxford, Clarendon Press, 1936 : « La γένεσις n’est pas la κίνησις, puisque la κίνησις implique l’existence, tout le long de la κίνησις, de cela qui κινεῖται, tandis que la γένεσις implique la non-existence préalable de cela qui γίγνεται ; d’ailleurs, cela qui κινεῖται est toujours quelque part, alors que cela qui γίγνεται n’est préalablement nulle part » (p. 46, nous traduisons). Cependant Ross prend principalement pour appui textuel le Ve livre de la Physique, chapitres 1 et 2. Or en Phys., III (1 et 2), κίνησις et μεταβολή sont traités comme synonymes, dans un contexte où il est question de la γένεσις et de la φθορά. Cela tend à montrer qu’Aristote n’a pas toujours été réticent à considérer le couple γένεσις/φθορά comme un genre de la mobilité. Certains commentateurs ont trouvé dans ce flottement conceptuel l’occasion pour réfléchir à l’ordre chronologique d’écriture des différents livres de la Physique. Cf. le virulent échange entre P. Tannery (« Sur la composition de la Physique d’Aristote », Archiv für Geschichte der Philosophie, Berlin, G. Reimer, 1894 [7], p. 224 sq.) et l’article du même nom de G. Rodier (« Sur la composition de la Physique d’Aristote », Études de philosophie grecque, Paris, Vrin [coll. Bibliothèque d’histoire de la philosophie], 1957, p. 155–165).

  52. 52.

    « [Aristote ] ne manque pas de signaler divers genres du mouvement : accroissement et diminution, devenir-autre et déplacement (transport) (…). La simple énumération n’est pas même complète. Et le genre de mobilité qui n’est pas nommé, c’est justement le genre décisif pour la détermination de ce qu’est la φύσις » (GA 9, p. 248 ; PA, p. 497). Heidegger fait ici référence à l’énumération de Phys., V (1), 224b35–225b9, mais aussi celle de Phys., II (1), 192b13 eu égard à la φύσις comme principe de mouvement. Plus loin dans son commentaire, Heidegger clarifie le statut de la γένεσις, en rapport avec le concept qui en ouvre le sens selon lui – la μορφή : « (…) la γένεσις est précisément ce genre de la mobilité qu’Aristote avait laissé de côté lorsque, au début (…), il caractérisait par l’énumération des genres de mouvement la κίνησις comme μεταβολή. Pourquoi ? Parce qu’il était réservé à la γένεσις de distinguer et de marquer le déploiement essentiel de la φύσις comme μορφή » (GA 9, p. 288 ; PA, p. 560).

  53. 53.

    Heidegger traduit ἀρχή par « ‘pouvoir originaire’ et ‘origine se déployant en pouvoir’ (Verfügung und verfügenden Ausgang) » (GA 9, p. 247 ; PA, p. 496). Ainsi, « la φύσις est ἀρχή, et donc origine pour et pouvoir sur la mobilité et le repos (Ausgang für und Verfügung über Bewegtheit und Ruhe), à savoir de quelque chose qui est en mouvement et qui a en lui-même cette ἀρχή » (ibid. ; PA, p. 496–497). Cf. M. Heidegger, Qu’est-ce qu’une chose ? (1935–36), trad. J. Reboul et J. Taminiaux , Paris, Gallimard (coll. Tel), 1971 : « Le principe s’appelle ἀρχή, et ce au double sens de ce mot : cela d’où quelque chose provient, et ce qui règne sur ce qui en provient ainsi (…). Ce qui de la sorte est ἄρχὴ κινήσεως est φύσις, le mode originel du surgissement » (GA 41, p. 84 ; trad., p. 95). Si Heidegger se refuse à traduire ἀρχή par principe ou fondement, c’est bien sûr pour ne pas que la pensée cède à la tentation métaphysique de le concevoir comme un étant. En l’identifiant au déploiement d’un pouvoir, Heidegger insiste sur la dimension dynamique de l’être (φύσις). Au passage, la notion de pouvoir rappelle le Seinkönnen (« pouvoir-être ») qui, dans Sein und Zeit, constituait une structure existentiale fondamentale de l’ouverture au monde du Dasein, puisque c’est en tant que pouvoir-être que le Dasein s’est toujours déjà choisi, authentiquement ou dans la déchéance. On ne peut donc pas dire que Heidegger, après avoir thématisé la question de la mobilité de la vie facticielle dans les cours de Marbourg et de Fribourg, renonce pour une raison inexpliquée à penser le mouvement comme un existential du Dasein dans l’analytique de 1927. Au contraire, si l’on comprend le pouvoir non pas comme virtualité ou potentialité figée, mais bien plutôt comme une possibilisation active et agissante, tendue vers une effectuation, alors en un sens l’être dans la mobilité demeure encore dans Sein und Zeit la détermination ontologique cardinale de l’être-au-monde.

  54. 54.

    Comme par exemple en Mét., Λ (7), dans le fameux passage où Aristote explique que c’est en tant qu’objet d’amour que les moteurs immobiles meuvent les sphères : « La cause finale (…) meut donc comme objet de l’amour, et toutes les autres choses meuvent parce qu’elles sont mues elles-mêmes. – Maintenant, l’être qui est mû est susceptible d’être autrement qu’il n’est. Si donc son acte est la première espèce du mouvement de translation (φορά), c’est en tant qu’il est sujet au changement qu’il peut être autrement, savoir selon le lieu, même s’il ne le peut quant à la substance (…). La translation est en effet le premier des changements (φορὰ γὰρ ἡ πρώτη τῶν μεταβολῶν), et la première translation est la translation circulaire » (1072b3–1072b9).

  55. 55.

    Du ciel, I (9), 279a18.

  56. 56.

    Cf. l’analyse de R. Sorabji dans Time, Creation and the Continuum, Londres, Duckworth, 1983, p.125–128.

  57. 57.

    Dans le contexte d’une interprétation de Du ciel I( 9), où Aristote assimile le premier ciel à la divinité – non sans poser des problèmes, si tant est que cela obscurcit la ligne de partage entre cosmologie mondaine et théologie de l’étant transcendant, E. Martineau écrit ainsi que : « Dieu lui-même, effectivement étranger à la μεταβολή, ne répugne pas pour autant et par définition à je ne sais quelle mobilité dont la noétique d’Aristote réussira un jour et pourra seule réussir à percer et élucider le secret » (« Ἄϊον chez Aristote ‘De Caelo’, I, 9 : théologie cosmique ou cosmo-théologie ? », Revue de métaphysique et de morale, 1979 [84-1], p. 43).

  58. 58.

    Cf. Phys., VIII (8), 265a10 et Phys., VI (10), 241b16, où Aristote établit qu’aucun mouvement ne peut être infini (car cela viole la clause de bornage, un mouvement devant provenir d’un terme et aller à un autre) ; mais annonçant une exception à cette règle pour le mouvement circulaire des sphères, sans que cette exception ne fasse au demeurant l’objet d’une réelle justification (elle prend donc forme de postulat). Comme le remarque en effet E. Berti , un mouvement circulaire éternel peut fort bien être obtenu par sommation d’une infinité de mouvements eux-mêmes finis. Cf. infra., § 2-iii.

  59. 59.

    Cf. Qu’est-ce qu’une chose ? (op. cit.), où Heidegger glose sur la cosmologie aristotélicienne  : « Les astres cependant et le ciel tout entier se meuvent περὶ τὸ μέσον, autour du centre ; leur mouvement est κύκλῳ. Le mouvement circulaire et le mouvement rectiligne sont des mouvements simples, ἁπλαί ; de ces deux mouvements le circulaire est le premier, c’est-à-dire qu’il est d’un rang supérieur et donc du rang le plus haut. Car πρότερον τὸ τέλειον τοῦ ἀτελοῦς : l’accompli a préséance sur l’inaccompli. Au mouvement des corps appartient leur lieu. Dans le mouvement circulaire, le corps a son lieu dans le mouvement même, et c’est pourquoi ce mouvement est celui qui dure toujours, qui est authentiquement étant, tandis que dans le mouvement rectiligne le lieu réside seulement dans une direction et à l’écart d’un autre lieu, de telle sorte que le mouvement atteint sa fin dans le lieu vers lequel il se dirige » (GA 41, p. 85 ; trad., p. 95–6).

  60. 60.

    GA 22, p. 181 ; CFPA, p. 200.

  61. 61.

    « Δύναμις – ἐνέργεια. Que veut dire cette détermination considérée comme caractère d’être (…) ? Le mouvement est une détermination d’être de l’étant, l’étant mû » (GA 22, p. 172–173 ; CFPA, p. 191).

  62. 62.

    « Effectivité, être là-devant en tant qu’être-en-œuvre. L’effectivité est un mode de l’être par le moyen duquel le mouvement devient ontologiquement saisissable » (ibid.)

  63. 63.

    M. Heidegger, Nietzsche II (éd. Neske), p. 404 ; Nietzsche II, trad. P. Klossowski, Paris, Gallimard (coll. Bibliothèque de philosophie), 1971, p. 325.

  64. 64.

    Ibid., 412 ; trad., p. 331.

  65. 65.

    C’est ainsi qu’en Mét. Θ (8), 1050b6–1050b34, Aristote propose une preuve (la seconde) de la priorité de l’acte sur la puissance, preuve qui aboutit à dissocier l’acte de la puissance pour affecter chacune de ces deux modalités à une région bien déterminée de l’étant. Là où, dans la première preuve (par la notion), Aristote maintenait encore le caractère relationnel de ces concepts (« Que selon la notion, l’acte soit antérieur, cela est évident : c’est parce qu’elle peut agir que la puissance, au sens premier, est puissance », Mét., Θ [8], 1049b13), désormais l’acte apparaît comme la propriété insigne des étants éternels, tandis que la puissance constitue le mode d’être des seuls étants corruptibles.

  66. 66.

    Dont aucun jusqu’à Heidegger et Patočka  – rappelons-le – n’a trouvé dérangeant le principe de la thèse aristotélicienne eu égard à la priorité des mouvements locaux des sphères célestes par rapport aux autres mouvements de la partie sublunaire du monde. C’est seulement du point de vue d’une conception ontologique du mouvement – sur fond de différence ontologique entre l’être et l’étant – que cette thèse cosmologique pose fondamentalement un problème.

  67. 67.

    E. Berti , art. cit., p.124. Cf. Simplicius , op.cit., 1255, 34 sq. ; W.D. Ross , Aristotle’s Physics, op. cit., p. 91 ; ou bien encore F. Solmsen , Aristotle’s system of the physical world, New York/Ithaca, Cornell University Press, 1960 : « Pour nous la transition d’une position [qu’il doit y avoir toujours du mouvement] à l’autre [qu’il doit y avoir un mouvement éternel et continu] peut sembler moins simple et plus problématique. Lorsqu’Aristote en effet prouve l’éternité du mouvement dans le premier chapitre [du livre VIII de la Physique], ses arguments n’excluent pas la possibilité de mouvement successifs ou même alternatifs » (p. 226, nous traduisons).

  68. 68.

    « Il existe donc quelque chose, toujours mû d’un mouvement sans arrêt (ἄπαυρτον), et ce mouvement est le mouvement circulaire » (Mét., Λ [7], 1072a21, nous soulignons).

  69. 69.

    Il s’agit de la première preuve de l’éternité du mouvement, preuve par la γένεσις : cf. Phys., VIII (1), 251a17–251a28. Et en Phys., VIII (6), 260a1–260a4 : « Cela est évident [qu’il y ait un mouvement éternel] aussi du fait qu’il n’y aurait pas autrement de génération, de corruption ni de changement dans les autres choses, à moins que quelque mû ne les meuve » (trad. P. Pellegrin). La seconde preuve de l’éternité du mouvement est établie à partir de l’éternité du temps. Cf. Phys., VIII (1), 251b10–251b28. Cf. à ce sujet le cours marbourgeois de Heidegger, Les concepts fondamentaux de la philosophie antique (GA 22, p. 176 ; CFPA, p. 195), et le commentaire qu’en fait C. Sommer (Heidegger, Aristote , Luther. Les sources aristotéliciennes et néo-testamentaires d’Être et temps, Paris, Presses universitaires de France [coll. Épiméthée], p. 108 sq.).

  70. 70.

    « (…) [T]out changement va d’un terme à un autre, aussi bien le changement dans la contradiction que le changement dans les contraires (…). Mais ce n’est pas de cette manière que le transport est fini, car il n’est pas toujours limité par des contraires » (Phys., VI [10], 241a26–241b3).

  71. 71.

    Cf. Phys., VIII (6), 259a15–259a20, 260a3–260a5, 260a17–260a19 ; Phys., VIII (7), 260a23–260a26 ; Phys., VIII (10), 267b16–17 ; De Caelo, II (5), 288a4–288a12 ; Génération et corruption, II (10), 337a19–20.

  72. 72.

    Comme le dit E. Berti  : « il faut exclure absolument que le moteur exerce une action quelconque sur le ciel, car chaque action impliquerait un contact et donc une passion, un changement, dans le moteur » (art. cit., p. 147). Cf. Génération et corruption, I (6) : « si un moteur lui-même immobile met en mouvement un objet, nous sommes en présence d’un cas où le moteur touche ce qu’il meut, mais que rien ne le touche lui-même ; nous disons en effet quelquefois qu’une personne qui nous afflige nous touche sans que nous la touchions nous-mêmes » (323a32).

  73. 73.

    Cf. Mét., Λ (7), 1072a26–1072b4.

  74. 74.

    « Par conséquent la nature du mouvement qui se produit ne dépend absolument pas de la nature immobile et inchangeable du moteur, mais elle dépend seulement de la nature et de la perfection de ce qui est mû. Si le ciel était différent de ce qu’il est, il se mouvrait, en aimant son moteur, d’une manière complètement différente de celle dont il se meut, et donc il pourrait aussi se mouvoir d’un mouvement non circulaire » (E. Berti , art. cit., p. 147–148).

  75. 75.

    E. Berti , art. cit., p. 145.

  76. 76.

    E. Berti , art. cit., p. 137 ; Solmsen , op. cit., p. 225. E. Berti reconnaît qu’il arrive à Aristote de justifier l’existence de déplacements circulaires éternels (continus) par le recours aux données de fait de l’expérience, accessibles par l’observation sensible du ciel : « Il existe donc quelque chose, toujours mû d’un mouvement sans arrêt, mouvement qui est le mouvement circulaire. Et cela est d’ailleurs évident, non seulement par le raisonnement, mais en fait » (Mét., Λ [7], 1072a22). Cependant, E. Berti remarque tout de suite que cette justification du mouvement continu (proposée en outre par D. Ross , Aristotle’s Physics, op. cit., p. 92) ne peut évidemment pas suffire, puisque jamais une observation humaine, nécessairement limitée dans le temps, ne peut livrer le caractère prétendument éternel d’un mouvement, ni même continûment circulaire (cf. E. Berti, art. cit., p. 125). C’est donc pour une raison d’ordre doctrinal qu’il faut expliquer l’identification par Aristote des mouvements cosmiques à des déplacements locaux éternels et continus.

  77. 77.

    C’est en ce sens qu’il convient de comprendre l’identification, effectuée par R. Brague , de la cosmologie aristotélicienne à une « théologie astrale » (cf. « La phénoménologie comme voie d’accès au monde grec. Note sur la critique de la Vorhandenheit comme modèle ontologique dans la lecture heideggérienne d’Aristote  » [1979–1980], in J.-L. Marion et G. Planty-Bonjour [éd.], Phénoménologie et métaphysique, Paris, Presses universitaires de France [coll. Épiméthée], 1984, p. 266). Si l’on relie cette caractérisation à cette autre que nous proposions plus haut de « cosmologie physique » (cf. supra, p. 10 et n. 28), il nous semble que c’est toute l’ambiguïté du statut de la cosmologie aristotélicienne qui ressort, dans la mesure où elle est à cheval sur deux ordres hétérogènes, la nature et la théologie. Cependant, il nous semble que lorsque R. Brague, plus loin dans le même article, estime que pour Heidegger la Physique aristotélicienne est de fond en comble sous-tendue par une métaphysique secrète de la Vorhandenheit, il se contente d’exhiber le volet critique-déconstructeur de l’explication heideggérienne avec la philosophie du Stagirite  ; mais il minimise selon nous du même coup la dimension positive de l’ontologie aristotélicienne aux yeux du philosophe allemand. Ainsi, il faut selon nous comprendre la formule déjà citée de Heidegger (cf. supra, p. 6), selon laquelle la Physique d’Aristote détermine dès le début l’essence et l’histoire de la métaphysique, comme une appréciation éminemment positive – et non critique. Nous sommes donc en désaccord avec R. Brague quand il écrit : « La Physique d’Aristote est le livre qui fonde la métaphysique parce qu’elle introduit un ensemble de concepts qui tous supposent et consolident le modèle ontologique de la Vorhandenheit » (art. cit., p. 269).

  78. 78.

    J. Patočka , « La conception aristotélicienne du mouvement : signification philosophique et recherches historiques », MNMEH, p. 128.

  79. 79.

    Ibid., p. 137.

  80. 80.

    Ibid., p. 127–128.

  81. 81.

    Ibid., p. 138.

  82. 82.

    MNMEH, p. 129.

  83. 83.

    Nous renvoyons au § 21, dans la seconde partie.

  84. 84.

    J. Patočka , « Phénoménologie et métaphysique du mouvement », PP, p. 19 (nous soulignons).

  85. 85.

    PE, p.180.

  86. 86.

    Patočka l’indique lui-même: « c’est bien à travers le problème de la manifestation que Heidegger accède au problème de l’être, (…) c’est seulement sur la base du problème de la manifestation que le problème de l’être prend chez Heidegger un nouveau départ. Par la suite, Heidegger se rend compte que cette manière de thématiser l’être, qui en fait l’accomplissement du sujet fini, du Dasein, demeure trop proche du subjectivisme de Husserl  » (ibid., p. 181, nous soulignons).

  87. 87.

    Cf. J. Benoist , Les limites de l’intentionalité, Paris, Vrin (coll. Problèmes et controverses), 2005 ; Sens et sensibilité, Paris, Les éditions du Cerf (coll. Passages) , 2009 ; Éléments de philosophie réaliste : réflexions sur ce que l’on a, Paris, Vrin (coll. Moments philosophiques), 2011 ; Le bruit du sensible, Paris, Les éditions du Cerf (coll. Passages), 2013.

  88. 88.

    Cf. C. Romano , Au cœur de la raison : la phénoménologie, Paris, Gallimard (coll. Folio), 2010.

  89. 89.

    Cf. R. Barbaras , Introduction à une phénoménologie de la vie, Paris, Vrin (coll. Problèmes et controverses), 2008 ; La vie lacunaire, Paris, Vrin (coll. Problèmes et controverses), 2011 ; Dynamique de la manifestation, Paris, Vrin (coll. Problèmes et controverses), 2013.

  90. 90.

    Pour les parutions les plus récentes, on consultera notamment, pour la première période de Fribourg, le cours de 1922, Phänomenologische Interpretation ausgewählter Abhandlungen des Aristoteles zu Ontologie und Logik, GA 61, paru en 2005. S’agissant de la période marbourgeoise, il faut mentionner la parution de deux cours tout à fait décisifs pour notre projet, Grundbegriffe der aristotelischen Philosophie, GA 18, cours de 1924 publié en 2002 ; et un cours de 1926, Grundbegriffe der antiken Philosophie, GA 22, paru en 2004 et dont la traduction française a été établie en 2003 par A. Boutot.

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Spaak, C.V. (2017). Partie introductive. Le problème du mouvement conçu comme détermination ontologique fondamentale. In: Interprétations phénoménologiques de la 'Physique' d’Aristote chez Heidegger et Patočka. Phaenomenologica, vol 223. Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-319-56544-6_1

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