Au rédacteur en chef,

La pratique de l’anesthésie en milieu précaire nous amène parfois à nous éloigner des pratiques en vigueur dans nos pays d’origine. Nous souhaitons ainsi rapporter une expérience de chirurgie du pied bot chez l’enfant sous anesthésie caudale et justifier l’emploi de la ropivacaïne 0,5 %. Les interventions, sur invitation d’une organisation non gouvernementale (ONG) locale, ont eu lieu à bord d’une péniche dotée d’un bloc rudimentaire lors d’une campagne de chirurgie pédiatrique au nord du Bangladesh. Ce bâtiment, le Life Buoy Friendship Hospital, et son équipage assurent les soins primaires à une population estimée à 500 000 personnes et accessible uniquement par voie fluviale.

Treize enfants ont été opérés en novembre 2008 pour pied bot complexe dont sept ayant une forme bilatérale; l’âge moyen était de trois ans [extrêmes: 1-6 ans], le poids moyen était de 10 kg [7-19 kg]. L’équipe était constituée d’un orthopédiste, d’une infirmière et d’un anesthésiste expatriés. Après contrôle du jeûne, 4 mg·kg−1 de kétamine et 0,01 mg·kg−1 d’atropine étaient administrés par voie intramusculaire. Après mise en place d’une voie veineuse, l’anesthésie caudale était réalisée à raison de 0,75 ml·kg−1 de ropivacaïne 0,5 %. Le monitorage se limitait à la prise de tension manuelle et à la saturométrie. Un extracteur d’oxygène était disponible. La durée de l’opération, réalisée sous garrot, était d’environ 60 min par pied. Lors de réveil peropératoire la sédation était renforcée par midazolam (0,1 mg·kg−1) ou kétamine (1 mg·kg−1) iv. Le bloc moteur et l’analgésie peropératoire étaient absolus. La surveillance postopératoire était confiée aux parents et à des paramédicaux. Du paracétamol (45 mg·kg−1·jour−1) et de l’ibuprofene (20 mg·kg−1·jour−1) étaient administrés de manière systématique, sans autre antalgique. La durée du bloc moteur n’a pas pu être évalué. Ces enfants, hébergés dans des tentes, ont été anesthésiés de nouveau après trois jours pour réalisation d’une contention en résine en remplacement du plâtre initial. Le retour à domicile était alors autorisé avec un protocole de surveillance et d’autorééducation de trois mois. Aucune complication n’a été signalée à ce jour.

L’anesthésie caudale chez l’enfant est de réalisation simple mais nécessite une anesthésie associée; une technique de sédation par kétamine permet en milieu précaire de contourner cette difficulté.1 Nous souhaitions pour la chirurgie du pied bot complexe avoir une analgésie profonde et un bloc moteur significatif d’une durée supérieure à deux heures, correspondant à la durée opératoire maximale. Ceci est impossible avec de la bupivacaïne 0,25 %, qui est l’anesthésique et la concentration habituellement recommandés; d’autre part si l’épargne morphinique est bien établie pour la chirurgie herniaire ou urologique, elle est mise en doute pour la chirurgie du pied bot.2 L’utilisation de la ropivacaïne, de toxicité moindre, se répand; chez l’enfant de plus d’un an, les concentrations utilisées varient de 0,1 % à 0,375 %, avec une préférence pour les solutions à 0,2 %. Mais à ces concentrations la durée de l’analgésie ne dépasse pas trois heures et le bloc moteur est inconstant ou de courte durée.3,4 La ropivacaïne 0,5 % n’est pas utilisée en clinique courante alors que ses caractéristiques pharmacologiques sont décrites chez l’enfant de plus de un an: à la posologie de 0,75 ml·kg−1 (0,375 mg·kg−1) elle assure une analgésie d’une durée proche de 24 h, un bloc moteur de plusieurs heures avec des concentrations plasmatiques inférieures à celles considérées comme étant toxiques chez l’adulte.5 Ces caractéristiques, qui correspondaient à nos impératifs chirurgicaux, nous a permis de réduire l’anesthésie à une simple sédation prolongée.

Dans notre expérience d’ONG à orientation chirurgicale (Humaniterra International®), l’exercice de l’anesthésie en milieu précaire ne doit pas être un simple transfert de pratique mais doit être le fruit d’une réelle réflexion sur la base de connaissances parfois non encore exploitées.