Résumé
Le débat qui se déroule dans les années 1720 à l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, sur la possibilité ou non de connaître l’histoire des premiers siècles de Rome, est généralement interprété comme une mise au point épistémologique par l’un des protagonistes. Une mise en contexte qui prend en considération les enjeux politiques de la dispute permet de comprendre que ce débat est l’amorce d’un processus d’autonomisation du champ des études historiques savantes, non seulement du point de vue de la division des savoirs, mais aussi par rapport au pouvoir monarchique.
Abstract
The debate which took place in the 1720s at the Royal Academy of Inscriptions and Letters on the possibility or impossibility of understanding the history of the first centuries of Rome is generally interpreted to be less of a debate than an important epistemological clarification. A contextualization which takes into account the political stakes of the debate allows one to understand that the debate was the beginning of a larger process of the autonomisation of the field of historical studies, not only from the perspective of disciplinary divides, but also in relation to monarchal power.
Zusammenfassung
Die in den 1720er Jahren an der Königlichen Akademie der Inschriften und Literatur (Académie royale des inscriptions et belles-lettres) geführte Debatte über die Frage, ob es möglich sei, die Geschichte der ersten Jahrhunderte Roms zu kennen, wird üblicherweise als Versuch einer epistemologischen Klarstellung durch einen der damaligen Akteure gedeutet. Eine Kontextualisierung, welche die politische Dimension der Auseinandersetzung berücksichtigt, legt nahe, die Debatte als Auftakt eines Autonomisierungsprozesses des Gelehrtenfeldes für historische Studien zu begreifen- und zwar nicht nur im Hinblick auf die Differenzierung der Wissensformen, sondern auch im Hinblick auf das Verhältnis zur Monarchie.
Resumen
El debate que tuvo lugar durante la década de 1720 en la Real Academia de las Inscripciones y las Letras Antiguas, sobre la posibilidad de conocer la historia de Roma, ha sido generalmente interpretado como la aclaración epistemológica de uno de sus protagonistas. Su contextualización, teniendo en cuenta las repercusiones políticas de la disputa, permite ver que este debate inicia un proceso de automatización del campo de los estudios históricos académicos. Esto desde la perspectiva de la división de conocimientos y con respecto al poder de la monarquía.
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Jean-Pierre Schandeler, né en 1957, est chargé de recherche au CNRS. Ses travaux portent sur l’épistémologie de l’historiographie au xviii e siècle. Il a notamment dirigé (avec F. Salaün), Entre belles-lettres et disciplines. Les savoirs au xviii e siècle (Ferney-Voltaire, 2011).
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Schandeler, JP. La Compétence Historienne à L’Épreuve de L’Autorité. Un Débat Académique au XVIIIe Siècle. Rev synth 135, 45–69 (2014). https://doi.org/10.1007/s11873-014-0245-z
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