Résumé
Quatre dramaturges contemporains, Lars Norén, Marius von Mayenburg, Maïssa Bey et Mohamed Kacimi envisagent d’éviter la sur-photogénie des attentats terroristes tels que relatés et parfois mis en scène par les images pour en proposer une représentation jouant sur l’intimité, l’enfermement des spectateurs dans des dispositifs rappelant la prise d’otages. Le spectateur se trouve contraint à conscientiser la situation dans laquelle se sont trouvés récemment de nombreux Européens, à Paris, Londres ou Madrid, y compris dans des lieux de spectacle, à Moscou notamment. Il s’agit d’échapper à l’effet-panique d’un tel événement, à tenter de le penser en congédiant également la tentation de l’esthétisation de la violence, voire de l’empathie envers le tueur. La pièce de théâtre n’y parvient d’ailleurs pas toujours : la compréhension court le risque de la justification. Seul un public de théâtre qui s’empare de la représentation comme un espace de représentativité – un lieu où il peut penser et juger ses propres valeurs – est probablement à même de garder à la fois en mémoire et à distance la violence exercée.
Notes
La Direction Générale de la Sécurité Intérieure est, entre 2008 et 2014, le service de renseignement du Ministère de l’Intérieur français. Vivement critiquée après les attentats de Toulouse, elle a été réformée et est devenue Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) en 2014, à la suite d’une enquête parlementaire lui supposant des défaillances dans la prévention du terrorisme.
La pièce Moi la mort je l’aime comme vous aimez la vie montre le terroriste retranché dans sa salle de bains après avoir tué sept personnes. Dans le but de le faire parler et de l’amener à dénoncer ses éventuels complices, un agent l’encourage à relater ses goûts, ses loisirs, au risque selon Isabelle Barbéris de rendre la situation intime et en empathie avec le tueur.
Les attentats du World Trade Center à New York, de Madrid, de Paris ou de Nice ont fait l’objet d’une médiatisation extrême, les caméras de télévision étant présentes en temps réel durant les attaques. C’est ce que Paul Ardenne appelle la « surphotogénie », l’exposition médiatique continue et intense. Face à cette saturation d’images, le spectacle vivant que nous proposons d’analyser envisage, par les mots et le dispositif dialogique, son envers, ce qui reste caché (une otage dont personne ne parle), et ce qui demeure une énigme (les motivations du tueur).
References
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Fix, F. Espace théâtral, espace carcéral : terrorismes à la scène. Neohelicon 45, 539–551 (2018). https://doi.org/10.1007/s11059-018-0446-9
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