Résumé
«La liberté consiste à n’être soumis qu’aux lois»: cette idée, que Turgot attribue aux «écrivains républicains», a sans doute sa place dans la tradition républicaine. Il s’agit cependant d’une idée essentiellement moderne, et pas nécessairement républicaine, développée dans la critique de l’absolutisme: on en retient l’importance qu’il y a à faire la loi, tout en refusant que qui que ce soit puisse se placer au-dessus des lois. Montesquieu fait du gouvernement modéré, qui peut être une monarchie, le gouvernement de la loi, celle-ci garantit à l’action rationnelle la prévisibilité et la constance dont elle a besoin. C’est Rousseau qui fait du gouvernement de la loi un thème républicain, en identifiant autogouvernement et autonomie. Lier la liberté à la loi, c’est insister sur l’existence politique des libertés: depuis Turgot, les libéraux y voient une menace pour les droits.
Abstract
Liberty is submission only to laws. This idea, according to Turgot, is a very republican one, and it belongs indeed to the classical republican tradition. It is, nonetheless, a mostly modern idea, not necessarily a republican one. It appears in the criticism of absolute monarchy: the importance of making the law is granted, but that anybody could be above the laws is rejected. For Montesquieu, moderate monarchy is the rule of law, of standing laws which provide the individual action with the conditions its rationality requires. But Rousseau makes a republican system of the rule of law, by identifying self-government and autonomy. By linking liberty and law, he stresses the political existence of liberty: since Turgot, it has been objected, inside liberalism, that such a political device jeopardizes natural rights.
Zusammenfassung
«Es gehört zum Wesen der Freiheit, daß sie nur durch Gesetze eingeschränkt wird.» Nach Turgot gehört diese Vorstellung zum Gedankengut der Republikaner. Sie ist jedoch sehr modern und nicht unbedingt Teil des republikanischen Denkens. Sie taucht zuerst als Teil der Kritik am Absolutismus auf, indem auf die Wichtigkeit der Gesetze hingewiesen wird, über denen niemand stehen darf. Für Montesquieu ist die konstitutionelle Monarchie soviel wie die Herrschaft des Gesetzes, das Vorhersehbarkeit und Beständigkeit als Voraussetzungen für rationales Handeln garantiert. Erst bei Rousseau wird die dem Gesetz unterworfene Regierung zum Merkmal der Republik, indem er selbstverantwortliche Regierung mit Autonomie gleichsetzt. Durch diese Verknüpfung von Freiheit und Gesetz werden die politischen Voraussetzungen der Freiheit betont. Die Liberalen sehen darin seit Turgot eine Bedrohung der naturgegebenen Rechte.
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Bibliographie
Turgot,Lettre au Dr Price à propos des constitutions américaines, 22 mars 1778, inŒuvres de Turgot, éd. EugèneDaire, 2 vol., Paris, Guillaumin, 1844, vol. II, p. 806.
Cf. Jean-MarieGoulemot, «Du républicanisme et de l’idée républicaine en France auxviii e siècle», inLe Siècle de l’avènement républicain, éd. FrançoisFuret, MonaOzouf, Paris, Gallimard, 1993, p. 25–56. Pour une appréciation un peu différente, cf. ClaudeLefort, «Foyers du républicanisme», inÉcrire à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, 1992, p. 181–208.
Platon,Les Lois, trad.E. Des Places etA. Dies, 4 vol., Paris, Les Belles Lettres, 1951–1976, liv. V, 739 asqq, et IX, 875 d: «Voilà donc pourquoi c’est l’alternative de second rang qu’il faut choisir, celle de la réglementation de la loi […]»
Aristote,Politique, texte établi et traduit par JeanAubonnet, 5 vol., Paris, Les Belles Lettres, 1960–1989 (cité par la suite commePolitique), liv. III, chap.xvi, 1287 b.
ThomasHobbes,Léviathan, trad. FrançoisTricaud, Paris, Sirey, 1971, chap.xlvi, p. 291.
Montesquieu,De l’esprit des lois, Genève, 1748, Paris, Garnier frères, 1973 (cité par la suite commeEL), liv. XVII, chap.vii (par la suite, pourEL et pourPolitique, les livres seront cités en chiffres romains et les chapitres en chiffres arabes).
R. Price,Observations sur la nature de la liberté civile, op. cit. supra n. 1 de Richard Price, nre part., sect. II, éd. angl., p. 24.
Dans une compilation d’écrits physiocratiques, intituléePrécis de l’ordre légal. La lettre est ensuite reprise dans des éditions pirates de ses œuvres, autour de 1770.
VoirTurgot,Écrits économiques, Paris, Calmann-Lévy, 1970, p. 241;
Jean-JacquesRousseau,Du contrat social, liv, II, chap.vi (cité par la suite commeCS, II, 6) inŒuvres complètes, t. III, Paris, Gallimard («Bibliothèque de la Pléiade»), 1964, p. 379 (cité par la suite commeOC).
John Greville AgardPocock,The Machiavellian Moment. Florentine political thought and the Atlantic republican tradition, Princeton, Princeton University Press, 1975.
Politique, III, 15, 1286-a 10.
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Politique, IV, 14, 1298-a 5.
Politique, IV, 4, 1292-a 5.
Cf. JacquelineBordes,Politéia, dans la pensée grecque, Paris, Les Belles Lettres, 1981.
EL, II, 2.
Politique, III, 1, 1275-a 25.
EL, V, 7.
VoirEL, XIX, 16: «Les moeurs et les manières sont des usages que les lois n’ont point établis, ou n’ont pas pu, ou n’ont pas voulu établir.»
EL, IV, 8.
NicolasMachiavel,Discours sur la première décade de Tite-Live, liv. I, chap. LVIII, in (Euvres complètes, Paris, Gallimard («Bibliothèque de la Pléiade»), 1952, p. 502.
EL, II, 1.
Cf. CatherineLarrère, «La typologie des gouvernements chez Montesquieu», inTextes et documents, Clermont-Ferrand, Faculté des lettres et sciences humaines, 1979.
EL, III, 10. VoirHobbes,De cive, XIV, 1. trad. SamuelSorbière, Paris, Sirey, 1981, p. 251: «Le commandement est une ordonnance à laquelle toute la raison d’obéir se tire de la volonté de celui qui commande.»
EL, III, 10.
EL, V, 10.
EL, II, 4.
JeanBodin,Les Six Livres de la République, liv. I, chap. VIII, éd. de Paris, 1583, p. 131.
VoirHobbes,op. cit. supra n. 5, chap. XXX, p. 361.
Ce qui est la définition de la monarchie donnée enEL, II, 4.
Définition de la monarchie donnée enEL, II, 2.
EL, préf.
EL, XI. 6.
EL, V, 14.
EL, XI, 6.
Max Weber,Histoire économique, 1923, trad. franç. Paris, Gallimard, 1991, p. 360–361.
EL, XI, 3.
Il écrivit en 1871, «pour le compte de Gambetta, le meilleurManuel républicain du temps, qui résume et annonce de manière parfaite et logique les ambitions, le programme et l’avenir de la troisième République», selon ClaudeNicolet, inL’ldée républicaine en France, Paris, Gallimard, 1982, p. 155.
EL, I, 1.
EL, XIX, 2, 3.
EL, XXVI, 3.
EL, I, 1.
CharlesEisenmann, «L’Esprit des lois et la séparation des pouvoirs», inMélanges à Carré de Malberg, Paris, 1933, et «La pensée constitutionnelle de Montesquieu», inLa Pensée politique et constitutionnelle de Montesquieu. Bicentenaire de L’Esprit des lois, Paris, Recueil Sirey, 1952.
EL, V, 19.
EL, XI, 6.
Politique, IV, 14.
EL, XI, 6.
EL, XI, 6.
EL, II, 2.
Cf.CS, III, 7.
CS, II, 6.
J.-J.Rousseau,Lettres écrites de la Montagne, 1764, lettre IX, inOC, t. III, p. 891.
EL, XI, 3.
J.-J.Rousseau,op. cit. supra n. 56,Lettres écrites de la Montagne, 1764, lettre VIII, p. 842.
Dans l’article «Economie politique», inOC, t. III, p. 252,Rousseau parle de «gouvernement populaire», ce qui est la qualification classique, chez Montesquieu par exemple, de la démocratie.
CS I, 8.
Voir article «Économie politique», inOC, t. III, p. 252: «La vertu n’est que cette conformité de la volonté particulière à la générale.»
CS, I, 7.
CS, III, 12.
CS, II, 3.
BernardManin, «La délibération politique»,Le Débat, 33, janv. 1985.
Lettre à Mirabeau du 26 juillet 1767,in J.-J.Rousseau Correspondance générale, éd. R. A.Leigh, 50 t., Oxford, The Voltaire Foundation, 1961–1991, t. XXXIII, p. 238, no 5991.
CS II, 3: «Si, quand le peuple suffisamment informé délibère, les citoyens n’avaient aucune communication entre eux […]»
CS, II, 3.
CS, IV, 1.
Pierre SamuelDupont de Nemours,Maximes du docteur Quesnay, inPhysiocrates, éd. EugèneDaire, Paris, Guillaumin, 1846, p. 390.
J.-J.Rousseau,Émile, Paris, Garnier, 1961, liv. I, p. 5.
Cf. JeanStarobinski,Le Remède dans le mal. Critique et légitimation de l’artifice à l’âge des Lumières, Paris, Gallimard, 1989.
CS, II, 12.
J.-J.Rousseau,Lettre à D’Alembert sur les spectacles, inOC, t. V, 1995, p. 61.
CS, III, 1.
J-J.Rousseau,Manuscrit de Genève, II, 4, inOC, t. III, p. 329.
Turgot,Lettre sur la tolérance, 1753, inŒuvres de Turgot, op. cit. supra n. 1, éd. EugèneDaire, 2 vol., Paris Guillaumin, 1844, vol. II, p. 676.
Daté du 22 janvier 1790, paru dansLe Moniteur, 3, janv.–mars 1790.
Manuscrit de Genève, II, 5, inOC, t. III, p. 331.
Lettre à Mirabeau du 26 juillet 1767, inop. cit. supra n. 66,.
Cf. Steven L.Kaplan,Le Pain, le peuple et le roi. La bataille du libéralisme sous Louis XV, trad. franç. Paris, Librairie académique Perrin, 1986, et CatherineLarrère,L’Invention de l’économie au xviii e siècle, Paris, Presses universitaires de France, 1992, chap.vi, «La philosophie des blés».
Turgot,Lettres sur le commerce des grains, inÉcrits économiques, Paris, Calmann-Lévy, 1970, p. 369.
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CatherineLarrère, née en 1944, professeur à l’université Bordeaux III, est spécialiste de philosophie politique. Elle a publiéL’Invention de l’économie au xviii e siècle (Paris, Presses universitaires de France, 1992) et de nombreux articles sur les théories économiques et politiques auxviii e siècle. Elle a écrit les articles «Classification des régimes», «Grotius», «Montesquieu», «Pufendorf», «Rousseau», «Scepticisme moderne» pour leDictionnaire de philosophie politique (éd. Stéphane Rials, Philippe Reynaud, Paris, Presses universitaires de France, 1996). Elle participe à la nouvelle édition desŒuvres complètes de Montesquieu (à la Voltaire foundation) et prépare un livre sur Rousseau.
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Larrère, C. Le gouvernement de la loi est-il un thème républicain?. Rev synth 118, 237–258 (1997). https://doi.org/10.1007/BF03181351
Issue Date:
DOI: https://doi.org/10.1007/BF03181351