L’anesthésie est une spécialité nécessitant l’acquisition d’un grand nombre de gestes techniques dont la durée d’apprentissage est variable selon le geste et les individus. Pour obtenir la maîtrise d’un geste, des connaissances théoriques s’avèrent indispensables, auxquelles doivent être associées un apprentissage de la technique.1 Le transversus abdominis plane bloc (TAP) est un bloc de paroi ayant démontré son efficacité dans l’analgésie postopératoire de nombreuses chirurgies.2-5 Il est classiquement décrit dans la littérature comme une technique simple, efficace et peu risquée. Le but de cette étude était d’évaluer la courbe d’apprentissage du TAP bloc échoguidé dans une population d’internes n’ayant jamais pratiqué ce type de bloc.

Méthodes

Il s’agit d’une étude prospective observationnelle réalisée en chirurgie gynécologique et en chirurgie générale au CHU de Nancy de novembre 2011 à mai 2012. Après accord de la commission d’éthique d’établissement (MRU 11-22), six internes n’ayant jamais pratiqué de TAP bloc échoguidé ont été inclus. La méthodologie de cette étude s’est inspirée de celle utilisée par Sites et Dessieux,6,7 et s’appuie sur les recommandations pour les études observationnelles (STROBE, http://www.strobe-statement.org). Une formation théorique des internes à la technique du TAP bloc avec visualisation d’images échographiques de TAP bloc était réalisée au préalable. Après avoir assisté à la réalisation d’une procédure par un médecin sénior au bloc opératoire, il était demandé à chaque interne de réaliser 20 procédures sous la supervision directe d’un sénior d’anesthésie ayant déjà pratiqué au moins 150 TAP blocs. A la fin de chaque procédure le superviseur remplissaient un questionnaire d’évaluation (questionnaire en Annexe disponible comme matériel électronique supplémentaire). La réussite de la procédure impliquait la validation des critères objectifs suivants: visualisation et identification des différents plans musculaire, du péritoine, et de la pointe de l’aiguille mais aussi efficacité du TAP mettre: bloc attesté par un bloc sensitif au froid dans le territoire T11-L1 en salle de réveil, absence d’intervention du médecin sénior, absence de complications, et moins de trois essais. Par ailleurs, l’évaluation du TAP bloc était complétée par un score de satisfaction du sénior sur une échelle s’étalant de 0 à 10. L’étude a porté sur 120 procédures.

Quatre séniors rôdés à la technique du TAP bloc ont évalués les différents internes.

Sur le plan statistique, les résultats ont été exprimés pour les variables quantitatives par leur moyenne et leur écart-type, en effectifs et en fréquence pour les variables qualitatives. La courbe d’apprentissage a été réalisée avec la méthode de « somme cumulée » ou learning curve - cummulative summation (LC-CUSUM) selon les recommandations de Biau et al. 8,9 Cette méthode n’évalue pas le maintien de compétence mais bien l’acquisition d’une technique contrairement au CUSUM ou au « sequential probability ratio » test. Ainsi, le LC-CUSUM intègre une « barrière » à zéro que les étudiants ne peuvent franchir, traduisant le fait que la technique n’est pas maitrisée. En effet, l’étudiant est en phase d’apprentissage et par définition la procédure n’est pas maitrisée, il est donc inutile d’avoir une limite supérieure montrant cela. Ainsi, si l’étudiant présente plusieurs échecs consécutifs, le score LC-CUSUM restera à zéro et ne dérivera pas de façon importante de la limite h traduisant l’acquisition de la compétence. La limite h dépend des taux d’échecs acceptable et inacceptable ainsi que de la performance du test. En somme, l’étudiant ne verra pas sa courbe d’apprentissage impactée par ses échecs passés, et n’aura pas à « compenser » de façon inutile ceux-ci. Pour établir l’acquisition de ce bloc, un taux d’échec acceptable de 10 % et un taux d’échec inacceptable de 25 % étaient choisis, la déviation acceptable de la performance était fixée à 0,075. Avec ces paramètres, la limite h était fixée à -1,4 pour donner 92,2 % de vrais positifs et 0,09 % de faux positifs (interne incompétent déclaré compétent). Le succès était matérialisé par une pente décroissante de la ligne LC-CUSUM franchissant la limite h. A chaque procédure réussie, la somme s est soustraite du score CUSUM précédent. En cas d’échec la somme 1-s est ajoutée au score précédent. Les méthodes de calcul pour obtenir les différents paramètres du LC-CUSUM ont été décrites précédemment.9,10

Résultats

Six internes en deuxième et troisième année de formation pratique en anesthésie ont été inclus dans ce travail, chacun réalisant les 20 blocs requis. Tous les internes avaient déjà manipulé un échographe et réalisé des procédures échoguidées pour la pose de voies veineuses centrales. La procédure était considérée comme acquise après la réalisation de 16 blocs en moyenne pour obtenir 90 % de réussite, la réussite de la technique étant croissante au fur et à mesure du temps, avec un taux de réussite moyen de 33,3 % sur les cinq premiers blocs, atteignant 93,3 % sur les cinq derniers (Fig. 1). La courbe d’apprentissage classique du TAP Bloc pour l’ensemble des résidents et la courbe du LC- Cusum pour chaque interne et chaque procédure sont représentées Figs. 2 et 3. Une diminution du temps de réalisation du bloc était observée au fur et à mesure des procédures 6,83 ± 4,1 min lors de la première réalisation versus 2,75 ± 1,25 min en fin d’étude (Fig. 2). De même, le nombre de repositionnements de l’aiguille diminuait en fonction du nombre de procédures (Fig. 4). La satisfaction de visualisation et de réalisation de la technique était croissante au cours du temps (Fig. 5). De manière inversement proportionnelle, le nombre d’interventions du médecin sénior décroissait avec le temps, passant de 36,7 % d'intervention au début de la formation, à l’absence d’intervention sur les dernières réalisations (Fig. 6). Enfin, aucune complication liée au TAP block n’était relevée au cours de l’étude sur un total de 120 procédures.

Fig. 1
figure 1

Pourcentage de réussite en fonction du nombre de procédures. Les procédures ont été regroupées de 5 en 5 et le pourcentage global de réussite sur les cinq procédures est montré

Fig. 2
figure 2

Courbe d’apprentissage classique du plan transverse abdominal bloc pour l’ensemble des résidents associé à la durée de réalisation moyenne par procédure. La courbe bleue représente le pourcentage de succès par numéro de procédure pour l’ensemble des six internes. La courbe en pointillés rouge correspond à la corrélation linéaire logarithmique du taux de réussite de la procédure et reflète la courbe d’apprentissage de ce bloc pour les six internes. La courbe en vert montre le temps moyen mis par les internes par procédure. L’écart-type est également représenté. La courbe verte en pointillés est une corrélation linéaire logarithmique du temps nécessaire par procédure

Fig. 3
figure 3

LC-CUSUM (« somme cumulée » ou « learning curve - cummulative summation ») pour chaque interne et chaque procédure de plan transverse abdominal bloc. Chaque courbe représente l’évolution d’un étudiant. La limite h est franchie par tous les internes en 20 procédures traduisant l’acquisition de la technique. La limite h a été fixée arbitrairement pour un taux d’échec acceptable de 10 % et un taux d’échec inacceptable de 25 % avec une déviation acceptable de la performance de 0,075. Cette limite permet d’avoir 92,2 % de vrais positifs et 0,09 % de faux positifs

Fig. 4
figure 4

Pourcentage de repositionnements de l’aiguille en fonction du nombre de procédures avec pourcentage d’efficacité moyen du bloc sensitif. Les procédures ont été regroupées de 5 en 5. Le nombre de repositionnements de l’aiguille est représenté par couleur. La courbe en pointillés rouge est une représentation du pourcentage d’efficacité du bloc sensitif. Il s’agit de la moyenne sur cinq procédures. Les points entre les procédures ont été reliés par une simple courbe

Fig. 5
figure 5

Moyennes des scores de satisfaction de la visualisation de l’aiguille et de la technique évaluées par le sénior pour chaque procédure. Les histogrammes représentent la moyenne du score pour chaque numéro procédure pour l’ensemble des internes. Les barres d’erreur représentent les écarts-types à la moyenne pour chaque procédure

Fig. 6
figure 6

Pourcentage d’interventions du sénior au cours des procédures. Les procédures ont été regroupées de 5 en 5 et une moyenne de pourcentage d’intervention du sénior a été établie. L’intervention du sénior se matérialise soit par des conseils prodigués pour réussir le bloc, soit lorsqu’il reprend la main

Discussion

Le TAP bloc est une technique d’apprentissage rapide selon les critères définis par la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation puisque moins de vingt tentatives sont nécessaires pour acquérir la technique par des novices.11 Sa rapidité d’apprentissage le place dans la même catégorie que le bloc axillaire sous échographie, le bloc interscalénique, et le bloc pénien contrairement à d’autres types d’anesthésies loco-régionales qui requièrent des délais d’apprentissage plus longs (rachianesthésie, péridurale, bloc lombaire).12-17 En effet, 45 rachianesthésies et 60 péridurales lombaires sont en général nécessaires pour obtenir des taux de succès proches de 90 %.18,19

La diminution du nombre de repositionnements de l’aiguille au cours du temps est un autre argument en faveur d’une technique d’acquisition rapide. Outre, le nombre de procédures et le nombre de repositionnements d’aiguilles, la durée de réalisation du bloc atteste également de la simplicité d’exécution et d’acquisition de la technique, avec une durée moyenne de réalisation du bloc divisée par 2,5 en fin d’étude. Enfin, le choix des critères de réussite de la procédure dans ce travail confirme lui aussi la simplicité de la technique. Plusieurs critères de validation de la procédure étaient nécessaires: visualisation et identification des différentes structures anatomiques, visualisation de la pointe de l’aiguille, efficacité du bloc, absence d’intervention d’un médecin sénior, absence de complication liée à la procédure, moins de trois tentatives et un score de satisfaction du sénior supérieur ou égal à 7 sur 10. Ainsi, la plupart des études du même type se limitent à une analyse rétrospective de l’efficacité des techniques.12,13,20

L’apprentissage rapide de ce bloc est très probablement lié à la simplicité d’acquisition des images échographiques, et ce, même chez des personnes peu rôdées en anesthésie locorégionale (ALR) échoguidée. Ainsi, après seulement trois procédures, tous les internes jugeaient la visualisation de l’image échographique comme satisfaisante avec une évolution linéairement croissante au cours du temps. Une bonne visualisation des structures est fondamentale en ALR échoguidée car la réussite du geste en dépend étroitement. Un autre élément qui peut expliquer la facilité d’acquisition de ce bloc est la configuration anatomique de la zone de réalisation du geste. Dans le cas du TAP bloc, la zone d’accès du bloc permet une ponction avec une angulation optimale de l’aiguille par rapport au faisceau d’ultrasons. En effet, dans une étude ayant pour but de déterminer les conditions optimales pour réaliser une biopsie, Bradley et coll. ont démontré que la distance d’introduction idéale de l’aiguille par rapport à la sonde d’échographie devait être de 2-3 cm avec un angle entre aiguille et le faisceau d’ultrasons de 55-60°, conditions que l’on retrouve naturellement lors de la réalisation d’un TAP bloc.21 L’environnement anatomique du TAP bloc participe également à sa facilité d’exécution puisqu’aucune structure anatomique environnante ne gêne sa réalisation.

Dans cette étude, aucune complication liée à la technique n’a été répertoriée. Ce résultat corrobore les données de la littérature, les complications décrites étant surtout l’apanage de la technique à l’aveugle.22-25 Plusieurs études se sont intéressées au site d’injection de l’anesthésique local lors de la réalisation d’un TAP bloc à l’aveugle constatant un pourcentage important d’erreur de lieu d’injection, dont 24 % d’injection intra-péritonéale.24,25

Plusieurs limites sont cependant à prendre en compte dans ce travail. La première est liée à la taille de notre cohorte. En effet, seuls six internes ont participé à ce travail, ceci est lié au fait que le recrutement d’internes à la fois novices en ALR échoguidée et novices en TAP bloc est difficile ceux ci ayant déjà été formés. Même si l’acquisition d’une technique est soumise à une grande variabilité interindividuelle étant liée outre l’expérience et les connaissances théoriques à la dextérité spontanée de l’opérateur, la plupart des courbes d’apprentissage réalisées en ALR ont également été réalisée sur de petites cohortes allant de deux à 12 sujets évalués.

La deuxième limite est liée au fait que tous les internes évalués étaient déjà habitués à l’utilisation d’un échographe. Tous avaient déjà réalisé des procédures échoguidées pour la pose de voies veineuses centrales. Ceci implique des temps d’apprentissage plus longs chez des sujets novices en échographie car l’acquisition des techniques d’échoguidage constitue en elle-même une première étape, notamment la représentation mentale de ce qui peut être vu à l’écran. Néanmoins, sur ce sujet, les auteurs n’ont pas systématiquement les mêmes avis. Pour Dessieux et coll., l’apprentissage de l’échoguidage chez le sujet novice est simple, puisqu’après seulement quatre essais, un interne est capable de régler correctement son échographe mais également de localiser et hydrolocaliser une cible.7 Ces résultats contrastent cependant avec ceux d’une autre étude s’étant intéressée au temps nécessaire à l’acquisition de la maîtrise de l’alignement de l’aiguille sous le faisceau des ultrasons et à l’atteinte d’une cible. Selon un modèle mathématique, le nombre de tentatives nécessaire pour obtenir 95 % de succès était de 37 essais pour maitriser l’alignement de l’aiguille et de 109 essais pour atteindre la cible.26 La réalisation d’une étude incluant uniquement des sujets novices en échographie pourrait être un complément utile à cette étude, afin de distinguer la courbe d’apprentissage des deux types de population: les novices en échographie et ceux ayant déjà une expérience échographique. Cependant, au vu de l’essor de l’échographie et de l’omniprésence de ce matériel dans les blocs opératoires, l’inclusion d’internes n’ayant jamais approché cet outil est difficile.

Plusieurs médecins séniors évaluateurs ont participé à ce travail. L’intégration de critères de réussite subjectifs tels que des scores de satisfaction, peut être responsable d’un biais d’évaluation, le critère de jugement pouvant être différent d’un évaluateur à l’autre. Dans la majorité de ce type d’études, plusieurs médecins évaluateurs sont impliqués. Même si la réalisation d’une étude avec un évaluateur unique semble être le choix idéal, sa mise en pratique se révèle souvent difficile.

Il aurait pu être également intéressant de comparer la courbe d’apprentissage du TAP bloc échoguidé vs. la technique à l’aveugle cependant, afin de limiter le risque de complication, nous n’avons pas jugé utile de construire notre étude comme telle. Enfin, la dernière limite de ce travail était l’évaluation de l’efficacité du bloc, défini par la présence d’un bloc sensitif au froid en salle de réveil. Le choix du bloc sensitif au froid a été retenu parce qu’il nous semblait le plus pertinent et objectif mais aussi le plus simple à réaliser. Néanmoins, aucune étude n’a jamais défini le meilleur moyen de tester l’efficacité d’un TAP bloc, la plupart s’intéressant essentiellement à la réduction du score de douleur ou de la consommation en morphine.

Conclusion

Au final, cette étude prospective sur l’évaluation de la courbe d’apprentissage du TAP bloc échoguidé chez les internes novices en ALR échoguidée, démontre qu’il s agit d’une technique simple, rapide à acquérir en moins de 20 procédures.